où nous fîmes halte, près d’une petite église et sur les bords d’une jolie
fontaine, les Sauterelles de diverses espèces étaient si nombreuses qu’on
les entendait bruisser lorsque, s’élevant au devant de nos pas par milliers,
elles s’abattaient toutes à la fois dans les trous du chemin, qui en restaient
souvent remplis; pour que celles du dessous parvinssent à se dégager, et
sauter de nouveau au travers de la couche supérieure formée par leurs
pareilles, il se faisait dans leur masse un mouvement semblable à celui
que font les larves de mouches, appelées vulgairement Asticots, dans
les pots où les amateurs de la pêche à la ligne en tiennent quelques
livres accumulées.
Les villages de Micri et de Mégali-Mandinia, que nous laissâmes sur
la gauche et près desquels nous passâmes, comptent, nous dit-on, plus
de cinq cents habitans : les murs qui soutiennent le terrain dans les ravins
que dominent l’un et l’autre, sont les plus soignés du pays; en beaucoup
d’endroits ils ressemblaient aux gradins de stades et de théâtres énormes,
avec lesquels tout ce que nous avions vu et que nous devions voir en
ce genre, ne saurait supporter la comparaison pour la régularité et la
grandeur. Aucun autre ouvrage des hommes dans la Grèce n’a certainement
autant d’importance et ne mérite plus d’être visité : on montre
aux environs des assises de pierres qui passent pour des restes de la plus
haute antiquité, et qui peuvent effectivement avoir appartenu a quelque
soubassement hellénique; mais ils sont loin d’avoir le grandiose de ces
terrasses modernes, qui nous étaient à chaque pas de nouveaux sujets
d’admiration. Voyageant à une lieue de la mer au pied des montagnes,
et à l’origine de plusieurs des ravins dont nous avions précédemment
traversé l’embouchure, nous en trouvions la naissance également cultivée
en forme de cirques de la plus symétrique élégance et souvent majestueux:
de grands trous dans le sol y provenaient, nous dit-on, de récens trem-
blemens de terre; nous passâmes contre la maison forte d’Armiros, qui
sert d’école, et rendus a Calamata assez avant dans la nuit, nous y fûmes
joints par Delaunay, qui venait me rendre compte de sa reconnaissance
de Phanari et d’Andrizéna.
Phanari, chef-lieu d’une éparchie de l’Elide, très-populeuse, ne compte
pas plus d’une soixantaine d’habitans; mais Andrizéna, l’un des beaux
endroits de la Morée, n’en a pas moins de 250. On en trouve une charmante
vue dans le voyage de M. de Stackelberg: ce bourg joue un rôle
important dans la chronique de Morée, et nous avons cité le partage des
Conquêtes qu’y firent les aventuriers français du moyen âge. Parmi les
raretés que Delaunay en rapporta étaient deux Serpens vivans, les plus
grands peut-être de l’Europe; ils appartenaient probablement à l’espèce
que les anciens appelaient Boa et dont Pline exagère la taille, en nous
en contant des choses extraordinaires. M. de Pouqueville1 parle aussi
« ‘de Serpens furieux, de couleur rouge et d’une grosseur considérable,
« qui attaquent l’homme.% Ceux de M. Delaunay, quoique énormes,
n’étaient ni rouges ni furieux, et se tenaient paisiblement roulés dans
une assez grande jarre bien bouchée sans songer à attaquer personne :
leur taille dépassait six pieds; ils avaient le diamètre du bras, des teintes
luisantes et noirâtres en dessus, et plaisaient à voir, quoique sombrement
nuancés. Ils appartenaient au genre des Couleuvres sans venin ; ce qui
fit que je ne m’empressai point de les faire tuer; mais ayant à la fin,
pour les conserver, rempli leur jarre deau-de-vie par un trou percé à
travers le bouchon très-serré, qu’on fixa au moyen d’une toile ficelée tout
autour du goulot, les efforts des Serpens furent tels que la gorge du vase
fut brisée et qu’ils s’échappèrent lorsqu’on les croyait morts et sans les
avoir' décrits.
Nous partîmes de Calamata dans la matinée du A, pour explorer les
ruines de Thuria et visiter les Képhalovritzi du voisinage, qui furent
évidemment pour les anciens les sources du Pamisus. Après avoir repassé
ce torrent où je crois reconnaître le Nédon, on voyage d’abord parmi des
vergers et des jardins, que remplissent des arbres fruitiers d’espèces
diverses : on y cultive entre autres des Grenadiers, le Citronnier et l’Oranger;
plusieurs, arrosés par des puits à godets, ressemblent aux Huertas
de l’Andalousie, avec leurs Noria, et sont enclos de Canevères, quand
les Nopals n’en composent pas les impénétrables baies. Le pays que
nous parcourûmes ensuite était fertile, quoique sablonneux; quelques
.bouquets d’Yeuse et autres bois, mêlés à des cultures, y étaient peut-
être les restes d’une extrémité de cette forêt de Cornium consacrée à
i . Voyage de la Grèce, t. VI, p. 376.