laine grossière, et qui, s’il n’était question de belles Grecques, se devrait
simplement qualifier de chemise, composait leur court vêtement; de.
longues perches qu’elles maniaient, et que d’abord nous crûmes être des
lignes, nous les firent prendre ensuite pour des pêcheurs; ce fut seulement
lorsque la première dont nous nous trouvâmes proches, se retourna pour
voir ce que pouvaient être les Francs qui se hasardaient en de pareils lieux,
que nous reconnûmes au volume du sein bronzé qu’elle nous montra,
le sexe de notre rencontre. Noüs n’en eussions pas été plus rassurés,
car les femmes kakovouniotes ne valent pas mieux que les hommes,
si nous n’eussions été armés aussi, et si notre canot, dont les rameurs
se tenaient sans cesse à portée, n’eût au besoin pu nous prêter main-
forte. Ces espèces d’Amazones ne parurent pas moins étonnées de nous
voir, que nous ne fûmes surpris de leur air guerrier. Kalkandy, ce
parent de Dzanétaki, dont nous étions accompagnés, prenant alors la
parole, nous raconta qu’au temps du passage des Cailles, l’extrémité
du Magne étant un lieu de halte pour ces oiseaux, ils s’y abattent en
volées innombrables avant de reprendre les routes de l’air, et de traverser
l’espace de mer qui sépare la Grèce de l’Afrique. «Le sol en est
« tellement couvert durant quelques jours, nous disait le Spartiate,
« qu’à peine on y distingue la pointe de quelques pierres, car pour de
« l’herbe il n’y en a plus; l’été a dévoré le peu qu’en produit cette con-
« trée maudite. Les hahitans ont eu soin de marquer à l’avance les
« places qu?ils se réservent les armes à la main, et sur lesquelles ils
« prennent les Cailles en masse avec des filets plus grands, mais à peu
« près faits comme celui dont M. Brullé se sert pour attraper ses mouches
« et ses papillons. Pendant que les hommes traitent de ces démarca-
« tions, ce qui n’est pas une petite affaire, leurs femmes emploient au
« rivage les mois de Juillet et d’Août à préparer un sel qui bientôt trou-
« vera son emploi. Cette longue perche, que dejoin vous avez prise pour
« le manche d’un hameçon, est celui d’une grande cuiller en bois, avec
« laquelle chacune puise au grand réservoir l’eau dont elle vient remplir
« chaque matin, et quand il fait excessivement chaud deux fois par jour,
« les moindres trous des rochers, oh, l’ardeur du soleil en faisant éva-
« porer promptement l’humidité, il demeure à la fin un dépôt de sel
« gris, légèrement amer, parfumé et des plus propre à la conserva-
« tion de la viande. Quand ce sel est recueilli et quand les Cailles sont
«•arrivées, ces mêmes femmes plument et vident au fur et à mesure
«. celles que prennent leurs maris : elles leur coupent ensuite la tête et
«¡¿'les pattes, les aplatissent un peu entre deux planches, qu’on charge
« de cailloux, et les saupoudrent, après les avoir disposées par couches
« dans des barils, avec la récolte, corrosive et conservatrice à la fois,
« .dont vous les voyez maintenant s’occuper. Les Cailles préparées de
« la sorte deviennent la meilleure chose à manger dont on se puisse
« faire l’idée. On en compose avec le Riz d’excellent pilo. * J’ai mangé
depuis de cette sorte de salaison, dont le Magne expédie dans tout
l’Orient et jusqu’à Constantinople des quantités assez considérables, et ne
l’ai pas trouvée exquise, ainsi que Kalkandy l’affirmait. Il est des ménages
qui, après en avoir fait provision pour six à huit mois, en peuvent, à
ce qu’on m’assura, vendre encore pour cinquante ou soixante thalaris;
ce qui est une fortune de Kakovouniote. L’espace nécessaire pour mieux
faire connaître une peuplade dont les moeurs n’ont plus aucun rapport
avec celles du reste de l’Europe, et que l’idée mal comprise de sa liberté
rend étrangère à toute civilisation, venant à me manquer, je me vois
réduit à regagner Kisternès, pour m’occuper du temple que nous y
découvrîmes, et dont les ruines font le sujet de la vignette du présent
chapitre1; ce monument peu considérable, même au temps ou toute la
Grèce le tenait pour l’un des plus saints, fut cependant solidement construit
en grosses pierres carrées. On y pénètre difficilement, parce qu’il
est enfoncé dans le sol, et que des amas de décombres en ont presque
obstrué l’entrée, située du côté occidental : c’est peut-être à cause de cet
enfoncement qu’on le comparait à une grotte. Dans l’intérieur étaient
divers blocs de Marbre culbutés, avec deux chapiteaux ioniques à volutes
plates, enclavés dans les réparations faites autrefois à l’une des murailles.
En dehors s’élevait aussi une colonne, qui pourrait bien n’avoir pas
toujours été à la place qu’elle occupe maintenant; plusieurs hommes
i . La carte de G e ll, qui place le temple de Neptune au même lieu que nous, et qui voit également
le port Psammatus dans Porto-Quaillo, indique Achilléus dans l’anse intermédiaire de
Yathy (voyez la feuille b de notre carte, planche II). Peut-être l’auteur anglais a-t-il raison.