aperçûmes par cette ouverture une barque entrant dans le port ou nous
allions entrer nous-mêmes. Ces roches se trouvent appelées île de Pylos
dans la carte de Barbie du Bocage, publiée en 4814, et l’une des plus
mauvaises qu’on ait jamais données au public. Cette erreur a été répétée
dans la plupart des plans de Navarin, qui se répandirent lorsque
l’amiral de Rigny releva dans l’Orient la gloire de notre marine par
une victoire signalée, remportée sur les Turcs d’Europe et d’Afrique.
J’ai par la suite visité ce rocher, que de loin*j’étais tenté de croire
façonné par la main de l’homme; mais la mer n’étant pas assez tranquille,
je ne me hasardai point à passer sous sa voûte. Du côté qui regarde Navarin,
il existe, à mi-hauteur de l’escarpement, contre le portique naturel,
une corniche, ou plutôt une sorte de petit plateau en retrait, sur lequel
je trouvai un tombeau que sa blancheur m’avait fait remarquer de
loin; le batelier grec, qui me conduisait, me dit, qu’un papas, mort
anciennement en odeur de sainteté, y reposait. On m’a assuré depuis
qu’il était celui d’un pacha fort vénéré des chrétiens même ^ par son
humanité^ vertu rare chez les Turcs, et qui mourut à Navarin lorsqu’il
faisait la tournée de son sandjkc. Dans cette dernière hypothèse le
monument serait fort moderne, puisque la Morée a des pachas turcs
depuis 1745 seulement; ce dernier asyle d’un chrétien ou d’un musulman
avait été récemment violé, je reconnus que les plus grosses pierres en
avaient été précipitées dans la mer, oîi je me reproche presque comme
un sacrilège d’en avoir fait rouler moi-même plus d’une, pour admirer
le bruit et les belles gerbes d’écume qu’elles produisaient en
tombant de si haut. J’ai cité la place de ce tombeau^que personne ne
réparera probablement jamais, pour que les voyageurs qui pourraient
avoir la curiosité <fen rechercher les traces, ne le confondissent pas
avec une autre construction funéraire, élevée en l’honnejur du comte
de Santa-Rosa par son compagnon d’armes le colonel Fabvier; celle-ci
gît; vers la pointe méridionale de Sphactérie, ou le philhellène pié-
montais^reçut une mort glorieuse.
"VerS deux heures nous entrions dans la passe, rangeant la côte et
passant au pied de Navarin, que nous avions déjà aperçu entre les
écueils de la pointe méridionale de Sphactérie; à deux heures nous
étions mouillés par vingt-cinq brasses en dedans du port, et fort proche
du débarcadaire, autour duquel s’élève un faubourg, dont l’étendue
s’accroissait chaque jour, et que j’ai retrouvé trois ou quatre fois plus
grand que je ne l’avais laissé, quand je suis revenu sur les lieux à la
fin de l’année î un grand nombre d’embarcations de tout genre s’y
trouvaient réunies. Le Trident, monté par M. l’amiral de Rosamel, et
le Scipion, vaisseaux de haut-bord, dominaient dans la rade. A côté
de quatre frégates françaises, on remarquait Hiellas, appartenant au
gouvernement grec, et qui portait l’amiral Miaulis, dont le nom n’était
prononcé qu’avec respect par nos marins; construite en Amérique
avec un luxe extraordinaire, cette magnifique frégate avait été précédemment
celle de l’amiral Gochrane; elle vient d’être réduite en
cendres par ce même Miaulis, alors si fier d’y traiter le général Maison
et ses officiers qui déjeûnaient sur l’Hellas à l’instant même où nous
jetâmes l’ancre. La bonne tenue du bâtiment se faisait admirer,
l’équipage en était excellent et nombreux. Une foule de transports
numérotés formaient avec des corvettes et des brigs de guerre une
forêt de mâtures autour de nous; des canots voguant d’un navire
à l’autre, revenant de terre ou s’y rendant, animaient un tableau
dont je ne pouvais détacher mes regards, quand les cris de joie de nos
matelots attirèrent mon attention. M. de Robillard venait de permettre
à son équipage de fêter le mardi gras, et bientôt sortit de l’entrepont
une procession bouffonne, en tête de laquelle deux gabiers, grotesquement
accoutrés et barbouillés de noir, portaient un grand mannequin
qui fut jugé sur le pont, et condamné à être pendu; l’exécution eut lieu
au bout de la vergue de misaine, et carnaval fut ensuite jeté à l’eau :
deux ou troÿ» jours après, ses restes furent retrouvés au rivage, où on
crut d’abord qu’ils étaient ceux d’un pauvre marin noyé. Pendant la
cérémonie on apercevait au loin en mer, par l’ouverture de la passe,
une masse énorme qui s’avancait avec une pompeuse rapidité, c’était
le vaisseau le Conquérant, qui ramenait l’amiral de Rigny sur*le théâtre
de sa victoire.' Les parages de Navarin, où les*Athéniens vainquirent
les fiers Spartiates, et les Français Jes Ottomans, plus orgueilleux
encore, méritent d’autant mieux qu’on s’applique à les décrire, que tout
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