être contagieux, lorsqu’on me présenta une espèce d’italien qui, se
disant grand docteur, parcourait l’Orient depuis deux ou trois années, en
•y faisant de miraculeuses guérisons; il avait, me dit-il, appris mille
secrets précieux en voyageant et dans quelques volumes qui formaient,
avec des paquets de poudres, de petites fioles d’élixirs et de grossières
lancettes, tout son bagage. Je connus au premier abord quelle était
l’énormité de son ignorance; mais il paraissait être assez adroit phlé-
botome; je l’autorisai donc à saigner abondamment tout le monde, en
lui interdisant strictement l’administration du moindre médicament; en
peu d’instans on eût dit une boucherie, au sang qui ruisselait chez nous
de toute part. Prenant sur moi de trancher du médecin, j’ordonnai une
diète rigoureuse, tempérée seulement par une boisson miellée; et chargeant
Brullé de faire observer le régime, je me décidai à partir pour
Napoli de Romanie, qui était le port le plus voisin de ceux oîi je pouvais
aller réclamer des secours. M’étant donc jeté sur le premier caïque
qu’on put me procurer, avec mon malheureux valet de chambre et
celui des sapeurs dont l’état paraissait le plus menaçant, me confiant
à trois matelots qui répondaient de faire la traversée dans une vingtaine
d’heures, je mis à la voile le 9 de Juin dans l’après-midi par une chaleur
de 54 degrés centigrades, n’ayant fait aucune réflexion sur l’exiguité
de l’embarcation qui m’allait porter à travers la grande mer. Un calme
désespérant me retint d’abord long-temps en vue du rocher oit je laissais
à regret ceux pour qui je m’exposais à me noyer; mais, un vent
impétueux s’étant élevé de l’Est au déclin du jour, les lames ne tardèrent
pas à devenir si hautes que leurs crêtes écumeuses, nous enveloppant
de toute part, ne permirent plus de distinguer les monts de la
côte qui, du cap Malée à l’entrée de la baie d’Argos, sont dans une
longueur de vingt-quatre à vingt-cinq lieues coupés à pic, comme de
gigantesques murailles; alors je connus le péril auquel je m’étais dévoué.
Après avoir successivement doublé les sinistres pointes de Liménaria
et d’Hiéraka, vers lesquelles nous faillîmes être jetés, le patron me
déclara qu’il était impossible de pousser plus avant sans être écrasés
contre des escarpemens ou mugissaient, en s’y déroulant, des flots
d’écume : nous n’avions guère fait plus de quatre lieues; il était nuit,
et cédant à la nécessité, je consentis à ce que nos marins essayassent de
gagner un port étroit qu’ils connaissaient, mais dont les ténèbres ne permettaient
guère de discerner l’entrée. Au risque d’être brisés contre
les rochers, nous essayâmes donc de noùs y jeter, et arrivâmes avec un
incroyable bonheur dans un bassin dont on ne distinguait pas même les
bords, mais ou la tourmente ne se faisait presque plus ressentir. Je pus
alors, mollement balancé au fond du bateau, goûter quelques heures d’un
sommeil que ne troublèrent plus les exécrables insectes ailés, par qui les
nuits d’Hélos et de Monembasie avaient été empoisonnées. Dès l’aube, je
voulais reprendre la mer; mais le patron m’ayant assuré que nous n’en
ferions pas plus de chemin et que nous péririons immanquablement,
force me fut d’attendre la bonace. «Où sommes-nous?” demandai -jè;
« au port Hieraka,” me répondit-on. Je sautai donc à terre pour explorer
les environs, et j’y trouvais les ruines cydopéennes et polygonales
de l’antique Zarex, où j’étais arrivé sans m’en douter; je n’aurai
conséquemment pas la fatuité de m’en attribuer la découverte. Pressé que
je suis d arriver a Nauplie, je renverrai la description de l’asyle où je
passai la nuit, à cette autre relation que j’ai déjà plus d’une fois promise :
on y verra comment, ayant quitté Zarex vers huit heures du matin,
une nouvelle tempête poussa mon esquif à Spezzia, où nos matelots
refusèrent de passer outre, après avoir tenu péniblement la mer toute la
journée. Il était environ quatre heures du matin. Je fus assez heureux
pour trouver, malgré l’obscurité qui tenait encore tout le monde endormi
dans l’île, une embarcation plus capable de braver la tempête. J’eus bien
de la peine à en réveiller le petit équipage, et surtout à le décider à partir
avant le jour et par le temps qu’il faisait; cependant, le lever du soleil
ayant fait tomber la bourrasque, et les flots s’étant presque aussitôt
calmés, les vents passèrent précisément au Sud, de sorte que, poussé
avec rapidité dans le fond du golfe argolique, je ne tardai pas à y découvrir
le rocher perpendiculaire que couronne Ischalé, et de l’autre
côté duquel vient le port où j’aspirais; vers deux heures j’y étais rendu.
Le baron Heideck, alors colonel au service de Bavière, mais à qui son
roi avait permis de servir la cause des Grecs, en était gouverneur:
cet excellent Heideck avait été attaché à M. le comte d’Erlon, lorsque
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