Ayant herborisé quelques heures aux alentours, nous continuâmes à
cheminer sous d’épais ombrages, parmi des arbres de la plus grande
beauté, entre les racines desquels saillissaient çà et là,à travers la terre,
de gros blocs d’une roche calcaire grisâtre, qu’à leurs formes, ainsi qu’a
la confusion de leur entassement, on eût pu confondre avec les Grès de
Fontainebleau, surtout peu avant d’arriver à cette clairière de K-ilia-
khoria, ou nous avions passé l’une des nuits du mois d’Avril. La journée
ayant été fatigante, et désespérant de gagner Navarin, nous replantâmes
nos tentes auprès de la prise d’eau de Koubeh et ne descendîmes que le
lendemain vers la baie, sans quitter un instant les traces de l’aqueduc
qui passe au pied de l’embrasure par où le Pézili ou Navarinitza s est
fait jour à travers une ceinture de rochers. Nos yeux étaient habitués a la
suavité de campagnes verdoyantes et de forêts ombreuses; 1 aspect dë
Navarin, lorsque de l’hôpital de la marine nous en aperçûmes tout à coup
le site aride et déjà brûlé du soleil, nous causa une sorte d’efïroi. La terre
rouge, d’où s’élevaient ses remparts et ses baraques, semblait être pétrie
avec du sang; tous les désastres qui depuis plus de deux mille ans ont
signalé l’histoire de ces lieux, se représentèrent subitement à mon esprit :
aussi je ne m’arrêtai guère dans cet endroit sinistre, et de bonne henre
nous étions rendus à Modon, où je fus présenter, sans perdre un instant,
mes hommages à M. le Maréchal, de qui se préparait le départ. Son
Excellence, avant de quitter le théâtre de sa philanthropique gloire,
montra sa sollicitude pour la Grèce, en remettant le commandement au
général Schneider qui avait fait partie de l’expédition libératrice, et dirigé
la brigade qui la première occupa Patras. Le général Schneider avait une
parfaite connaissance du Levant, une importante mission l’y ayant déjà-
conduit sous l’Empire; il avait même écrit un excellent Traité des îles
ioniennes1, et philhellène éclairé, il s’était pénétré delà sagesse des plans
i . Ce traité à été publié en. 1822. chez Dondey-Dupré en un volume in-8.°, accompagné d’un
allas grand in-4.° composé de cartes et de planches. L’auteur ayanfr-alors eu des motifs pour n’y pas
mettre son nom. je fus prié d’en être l’éditeur et d’y ajouter un discours préliminaire", ce qui fit
qu’on.m’attribua la totalité de l’ouvrage. L’honneur qu’il me fit, ainsi que les éloges mérités dont
il fut accueilli par";les journaux du temps, reviennent à M. le général Schneider. Les raisons qui
le déterminèrent à ne'pas revendiquer une gloire qui lui était due, ayant cessé, je le prie de vouloir
bien rentrer dans tous ses droits, afin qu’on puisse ajouter à tant d’autres titres qui lui méritent
l'estime publique, celui d’auteur judicieux et d’écrivain distingué.
conçus par celui qu’il venait remplacer. Il a commandé l’armée d’occupation
jusques en \ 832; et les Moréotes, conservant le souvenir du bien
qu’il ne cessa de leur faire, ne prononcent jamais son nom qu’avec une
respectueuse gratitude.
Nous consacrâmes la première partie du mois de Mai à compléter
l’exploration de la région littorale, et nous expédiâmes pour le Muséum
d’histoire naturelle de Paris les récoltes faites pendant les excursions
dont je viens de retracer les principales circonstances. Ayant fait ses
préparatifs pour en entreprendre de nouvelles, la section se remit en
route dans la matinée du 20 : j’avais chargé M. Delaunay d’explorer
l’Elide ; j’expédiai MM. Pector et Despréaux, avec des instructions pour
visiter les rivages de la péninsule depuis Coron jusqu’à Napoli de Ro-
manie. Ainsi, tout était calculé pour visiter le plus d’endroits à la fois.