propres paroles du Président dans plusieurs entrevues que nous eûmes
durant les deux ou trois jours qu’il passa au quartier-général. Depuis
ce temps, ses bonnes et cordiales manières à mon égard ne se sont
jamais démenties; il m’a montré une confiance entière, du moins en
apparence, jusqu’à l’avènement du ministère qui succéda à celui dont
je tenais ma mission. Comme il paraissait se plaire à ma conversation,
je me laissai aller à la sienne toutes les fois qüe je le revis, et nous
avons depuis bien souvent et longuement devisé soit à Argos, soit à
Napoli, soit à Ægyne, oii sa table et son cabinet me furent toujours
ouverts. Son esprit était délicat et très-orné. Il avait beaucoup d’instruction
en divers genres, une prodigieuse mémoire et un à-propos de
citations qui rendait aussi Substantiels qu’intéressans ses moindres entretiens.
Une fois que je rencontrai à Argos, si je ne me trompe, Colo-
cotroni sortant de chez lui, il me fit avec des passages d’Homère qu’il
savait par coeur, le portrait du fourbe Ulysse, et me dit : «Ne le trou-
«vez-vous pas bien ressemblant? ” Colocotroni me paraissait, en effet,
n’être qu’une caricature de ce perfide héros. Le son de voix de M. Capo
d’Istria était agréable et persuasif, quoique un peu monotone, et il
possédait au suprême degré l’art d’écouter; chose fort rare chez ceux
qui parlent bien. Il semblait réservé plutôt que froid ; et s’il avait grand
soin de ne jamais exprimer que Ce qu’il voulait dire, il le faisait sans
qu’on pût soupçonner qu’il y mît la moindre réticence. C’est un grand
art que peu d’hommes d’Etat possèdent au degré oit le poussait M. Capo
d’Istria; du reste je me conformai exactement à ses intentions, sans m’en
ouvrir à personne, et c’est la note rédigée sur nos premiers entretiens
dont je viens de reproduire textuellement les principaux passages, que
j’ai envoyée confidentiellement par une voie particulière au Président
du Conseil; je ne sais comment elle avait pu passer dans les mains de
M. de Polignac; mais elle m’est revenue quatorze mois pliiS tard par le
département dont il fut le chef.
Le lendemain de notre arrivée, M. le Maréchal donna un grand dîner
au Président, ou furent invités les Généraux, les Colonels, les principaux
Chefs de l’administration et les membres de la Commission scientifique
de Morée. Son Excellence ne négligeait aucune occasion de montrer la
déférence qu’elle avait pour nous; et comme le botaniste qui m’avait
été adjoint, se disait trop malade pour remplir ses devoirs, M. le Ma-
réchal s’empressa de mettre à ma disposition, pour le remplacer, M.le
docteur Panaget, fort habile dans la connaissance dés végétaux, passionné
pour leur étude, l’un des médecins de l’armée qui avait montré
le plus de zèle et de talent au camp de la Djalova; mais que, helas!
nous eûmes bientôt le malheur de perdre, victime de son ardeur. Les
fièvres du pays nous l’ont enlevé. J’eusse bien désiré découvrir dans le
pays un genre nouveau, pour le consacrer à la mémoire de l’infatigable
et excellent Panaget, comme Linné dédia Y Hasselquistia au disciple
chéri qu’il perdit en Orient. N’ayant pas trouvé l’occasion de rendre
un tel hommage scientifique à notre infortuné compagnon, je recommande
aux botanistes dé ne le point oublier quand une de leurs découvertes
nécessitera l’imposition d’un nom nouveau.
M. le Président ayant quitté Modon pour achever la tournée qu’il
faisait dans la péninsule, et mes dispositions étant faites pour nous
remettre en route, j’expédiai M. Sextius de Launai, qui m’avait rejoint
peu de jours auparavant, avec un autre membré delà Commission pour
Coron, dans le but d’explorer les rivages du golfe et d’en recueillir les
poissons ou autres productions marines; accompagné de MM. Brullé,
Baccuet, Panaget et Yirlet, je me réservai de visiter l’intérieur du pays.
Nous partîmes dans la matinée du 16 Avril. Une douzaine de mules,
pour lesquelles nous avions traité à Gargaliano, étant venues charger
nos tentes, nos; provisions et tout Te bagage qui nous pouvait être
nécessaire pour faire le plus fructueusement et le plus commodément
possible de la science én plein champ, nous prîmes d’abord la route de
Koubeh par Nizi, et repassâmes par les endroits que nous avions
récemment visités jusques au confluent du Paléolaka dans le vallon du
Navarinitza, eh traversant cette fois du sud au nord le bassin fermé de
Kinigou, oh nous jetâmes sur notre droite un dernier coup d’oeil vers
la ruine dont la vue se trouve en vignette à la fin du présent chapitre.
Tenant toujours la grande route, et gravissant pour sortir du vallon
de Nàvàrinitza, nous trouvions le terrain de plus en plus sillonné,
les eaux pluviales exerçant une action puissante sur les Grès verts et