le tributaire qui, venant du nord à travers la plaine, s’y jette un peu
au-dessous du kan, pourrait bien correspondre à l’Electre de l’antiquité.
Ayant passé l’eau à gué, nous voyageâmes sur sa rive droite, qu’ombrageaient
toujours quelques beaux arbres : nous y trouvâmes une autre
belle fontaine et les restes d’une assez grande chapelle; puis, ayant repassé
de nouveau le Balyra ou Mavrozoftmèna, duquel des rochers et des
coupures brusques rendaient la droite difficile à parcourir, nous vînmes
faire halte près d’un moulin récemment rétabli, et dont les habitans
avaient des Poules et des oeufs à nous vendre. Ici se terminait la plaine
supérieure du bassin dont nous venions d’explorer la partie occidentale,
et qui fut évidemment un lac autrefois. La rivière s’étant fait jour, par
une brisure, à travers une suite de hauteurs qu’il fallut gravir, nous
y traversâmes un bois qu’on citait comme fort dangereux, parce que
des voleurs aguerris l’infestaient au temps des Turcs, qui ne s’y engageaient
jamais que par troupe, en s’éclairant soigneusement. Dès le
matin nous avions aperçu sur la droite, à la cime d’un monticule en
pain de sucre formé par le confluent d’une rivière qui vient de Milia,
les restes d’un château fort du moyen âge, appelé Paléaklephto : trois
grandes tours carrées avec l’enceinte qui les unit, rappellent ces repaires
féodaux dont le reste de l’Europe a été hérissée; il fut bâti sur le modèle
de ceux dont quelques ruines se voient principalement en Champagne,
d’oîi venaient sans doute les seigneurs qui en firent leur manoir. Un
Français dût en être possesseur vers le treizième siècle; cependant on
ne peut savoir aujourd’hui quel comte ou baron le fit construire. Baccuet
prit une vue de cette ruine de l’endroit où nous nous étions reposés
(voyez Pl. XV) ; c’est peut-être à la place où elle est qu’il faudrait chercher
celle de l’antique Dorium ou celle d’Electre : une ville et sa citadelle y
eussent été fort bien situées de tout temps pour protéger les défilés voisins.
S’abandonnant à des rêves chevaleresques à l’aspect de ses donjons,
notre cpmpagnon y figura un banneret avec sa troupe des temps
héroïques de l’ère chrétienne, revenant de quelque expédition guerrière.
Rendu au faîte du col, on découvre devant soi le fond d’un second
lac desséché, dont le sol est composé d’un limon de transport très-
fertile et qui maintenant se couvre de cultures et de villages; dès la plus
haute antiquité, on appela Sténikléros ou Sténikléria cette plaine enca-
dree de montagnes. Il y eut aussi une ville du . même nom , où le roi
Cresphonte, ayant épousé cette Mérope, fille de Cypsélus, dont Voltaire
a fait l’héroïne de l’une de ses plus belles tragédies, bâtit un palais pour
sa résidence.1
La plaine de Sténikléros répond à peu près à ce qu’on nomme au-
jourdhui le canton d’Emblakika, mais non à celui de Nisy, comme il
est dit mal à propos dans l’Histoire de l’académie des inscriptions2, et
comme le marque Danville dans sa carte de \ 767; c’est dans cette plaine
qu’eurent lieu plusieurs des batailles qui signalèrent les grands démêlés
des Messéniens et des Spartiates. La plus ancienne capitale des princes
venus d’Iolcos, située dans son étendue, était Andanie, que dés cartes
dont les auteurs furent induits en erreur par M. Pouqueville3, placenta
Francoeclesia près d’Alitouri, village où nous passâmes; mais où nous
ne reconnûmes pas plus de traces de haute antiquité,$ que nous n’en
avions reconnu à Pyla. Francoéclésia n’est qu’un débris byzantin sans
importance, dont il n’existe même que des briques éparses et quelques
pans de murs; un monticule en est à proximité, et pourrait bien être
iin tumulus, sur lequel sont des fragmens de Marbre et de colonnes
en Calcaire commun. La position qu’assigne à cette ville d’Andanie le
réformateur de la géographie, qui voyait la plaine de Sténikléros vers
l’embouchure du Pamisus, répond à celle d’Androussa, où nous passerons
en quittant Messène.
Andanie, qu’on ne retrouve point, fut néanmoins une cité importante;
sa fondation est attribuée à Polycaon, fils de Lélex, qui régnait
lorsque les Messéniens n’habitaient point entre des murailles, et, encore
sauvages, vivaient dispersés dans la campagne. Le siège du gouvernement
ayant été transporté à Pylos, sous le règne de Nestor, Andanie
perdit le titre de capitale, mais on y célébra long-temps encore les
mystères des grandes déesses. Gonippus et Panorme, ces deux beaux
klephtes antiques que les Laconiens, célébrant une fête en l’honneur des
Dioscures, prirent pour ces jumeaux divins, et qui profitèrent de cette
erreur pour tuer quelques adorateurs de Castor et de Pollux, étaient
i . Pausanias, lib. VIII, cap. 3. — 2. Tome VII, p. 354. — 3. Voyage de Grèce, t. VI, p. 36.