Un marais, alimenté par une source douceâtre et par un torrent qui
descend de la montagne couronnée par un village de Sélitza1 dont nous
apercevions les maisons, couvre Armyros du côtéduNord: lesManiotes
y avaient élevé dans ces derniers temps un de ces retranchemens qu’ils
appellent tambours, composé d’épaisses murailles et de grosses tours
carrées sur le modèle des fortifications helléniques. Le feu nourri qu’ils
y firent parles nombreuses meurtrières dont ils avaient percé tout l’ouvrage,
arrêta l’armée d’Ibrahim à diverses reprises, et le dévastateur
ne put triompher d’un obstacle improvisé qui lui ferma la contrée.
Armyros paraît être une fondation nouvelle, qu’on ne trouve indiquée
dans aucune des cartes du siècle dernier. A une demi-lieue au Sud,
toujours sur le bord delà mer, est situé ce qu’on a appelé Mili (les Moulins)
; l’antiquité en avait déjà signalé l’existence1 : on y voit une rivière
salée qui, sortant tout à coup d’un rocher à proximité du rivage, fait
tourner sans cesse quatre meules ou les habitans du canton viennent
moudre leur grain. Au devant de là grotte d’où s’échappent impétueusement
les eaux amères, est un petit bassin dans lequel je recueillis
une espèce d’Hydrophyte que je n’ai revue nulle part, et qui se trouve
décrite et figurée dans la Flore, sous le n.“ 1494. En partant de Mili,
on suit la plage au pied d’une série de rochers en Calcaire grossier,
mou, très-destructible, coupés à pic, et entre lesquels s’enfonce la gorge
d’un ravin où il y a un puits d’eau douce; chose assez rare en ce district,
dont le nom d’Armyros désigne la salure. On aperçoit dans l’intérieur du
pays, qui semble composé de collines entassées les unes sur les autres,
divers bourgs ou grands villages, et bientôt on entre dans le canton
deZamate, l’un des plus curieux et peut-être le mieux cultivé de l’univers,
sans en excepter la Chine et le Japon. Il est peu de terrains qui
soient plus coupés, où se rencontrent autant de pierres ingrates ,ou de
roches roulantes, et dans lequel les torrens se côtoient et se multiplient
davantage; cependant des moissons sans pareilles, entremêlées de magnifiques
plants de Mûriers, nous y dérobaient sous des vagues d’or et
de verdure la vue du sol et la forme des montagnes; en tous lieux
i. «On trouve sur la route d’Abia à Phares une abondante source d’eau salée.» Pausaniàs,
Jib. IV, càp. 3o. :
la terre végétale est soigneusement protégée contre Faction des eaux du
ciel qui la pourraient entraîner au temps des pluies, par une innombrable
suite de murs, formant des degrés adaptés aux formes de chaque
espace que de tels échelons doivent garantir de l’entraînement : espaces
qui n’ont pas toujours une toise de long sur un pied de large; mais dont
la superficie, qu’on finit toujours par rendre exactement horizontale,
est quelquefois assez considérable. On peut dire rigoureusement qu’il ne
s y trouve pas un pouce de terre perdu, et de degrés en degrés, lesquels
ont d un metre a trois et plus d’élévation, on peut arriver comme par de
gigantesques escaliers, depuis l’étroite et humble plage jusqu’aux plus
aigus et altiers sommets. Les soins qu’on prend dans le Zarnate de ce
qu’on y cultive, sont si minutieux qu’il n’y existe peut-être pas un caillou
de la grosseur d’une aveline parmi les champs; on n’y saurait même
trouver de plantes sauvages. Le botaniste peut se dispenser de visiter ce
lieu ou l’homme arrache tout ce qu’il n’a pas semé, et ne souffre point
un brin d’herbe qui ne lui soit de quelque rapport : de laiteux et caustiques
Euphorbes échappent seuls à sa vigilance, ou peut-être même
les tolere-t-il dans les interstices des pierres blanches, qui ne sauraient
produire autre chose, pour tempérer de leur feuillage bleuâtre l’ardeur
de la réverbération ; les touffes glauques des plus belles espèces de ce
genre ( n.os 647 , 618, 619, 621 et 636) y tranchent seules sur la teinte
des moissons, et nourrissent une immense quantité de ces élégantes
chenilles, peintes de jayet, de safran, d’émeraude et de corail, d’où
provient l’un des plus beaux lépidoptères de nos climats ÇSphinæ
Euphorbioe, n.° 602). Nous eussions pu en ramasser au moins un millier
dans une demi-lieue de chemin; mais nous nous contentâmes de prendre
quelques-unes de celles qui devaient incessamment se métamorphoser.
Nous fîmes bientôt rencontre de jeunes filles qui, montées sur des
mûriers, en récoltaient les feuilles, et de femmes qui, bravant les feux du
radieux soleil de midi, commençaient à scier les blés. Lorsque nous manifestâmes
à ces vaillantes Grecques notre surprise de ce que leurs frères
ou leurs maris ne les aidaient point, entrant en propos franchement, sans
timidité ni effronterie, elles nous répondirent: «que les hommes, nés
« pour les armes et les affaires, ne devaient pas descendre aux travaux des
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