de la flore péloponésiaque. Je me crus un instant d'ans les parties méridionales
de cette Andalousie que j’ai autrefois tant parcourue à la
tête de colonnes mobiles. Entre plusieurs espèces d’anémones il s’en trouvait
une qui' brillait d’un rouge de feu; partout où de l’herbe pouvait
croître, l’édat de ses fleurs effaçait celui des autres. Dans les richesses
végétales dont j’étais environné, je remarquai une fritillaire, avec
quelques autres jolies liliacées printanières; de gracieux cyclamens, dont
les feuilles sont si agréablement peintes de violet, de vert tendre et de
blanc lavé; diverses orchidéêsbizarres par ^ressemblance de leur corolle
avec des mouches; une pervenche d’un bleu tendre; la mandragore, et
surtout une légumineüSe (phaca b et ica ), qui se trouve si abondamment
dans les lieux analogues du midi de l’Espagne que les botanistes
lui imposèrent le nom de cette Bétique où pour la première fois elle
fut observée.
Quand nous eûmes perdu de vue Navarin, sa rade et les monts
qui l’entourent,' en marchant directement au sud, une plaine s’ouvrit
devant nous, la mer la bornait à peu de distance, et l’île noirâtre de
Sapience s’élevait à l’horizon comme pour la fermer : nous aperçûmes
alors les alentours de Modon sur le rivage vers la droite où se terminaient
les hauteurs qui sont le prolongementrdu mont Saint-Nicolo. En descendant
toujours le long de la route vénitienne, culbutée et souvent interrompue
par de larges rigoles, que forment et agrandissent les eaux
pluviales de la mauvaise saison, nous-arrivions par une pente douce
au point où le vallon commence à s’élargir tant soit peu, non loin de
l’emplacement du village d’Osphino ou Opsimo, détruit récemment
par les Africains d’Ibrahim. Les itinéraires signalent en>ce lieu un vieil
olivier qu’ils appellent agyra (peut-être pour agrya ), plante précisément
à moitié chemin de Navarin à Modon. Je ne découvris pas le
vieil olivier, mais il existait effectivement un assez gros arbre aifbord
de la route précisément à moitié de la distance des deux villes, et cet
arbre était d’autant plus remarquable qu’il ne s’en trouvait pas d’autre
dans les environs : je ne sais précisément pas si on l’appelle agyra ou
agrya dans le pays ; j’y ai seulement reconnu un caroubier, le ceratonia
. siliqua des botanistes. A quelque distance était une fontaine avec un
bassin contigu, mais il ne s’y trouvait plus d’eau. Un Provençal avait
planté sa tente tout contre : il connaissait la source par laquelle cette
mesquine construction avait jadis été alimentée, et dont quelques buissons
composés d’alaternes, delentisques et d’arbousiers dérobaient la vue.
11 en vendait le cristal aux passans, avec du vin, de l’eau-de-vie, de
mauvaises liqueurs et quelques grossiers comestibles. Le général Schneider,
en réparant plus tard la route, a fait rétablir le canal et le bassin,
où le voyageur peut maintenant se désaltérer sans payer tribut au can-
tinier, que M. Blouet a représenté'dormafït à l’entrée de sa tente, avec
le petit monument à sec, ombragé du drapeau blanc, dans la figure \
de sa planche^Vffl.
Des collines, beaucoup plus basses que celles qu,e nous avions vues
depuis le col, fuyaient à gauche, et sur leurs pentes creusées par diverses
gorges, on distinguait les ruines de plusieurs villages saccagés; quelques
employés de l’armée s’y étaient établis; vis-à-vis était un four à chaux,
au sud du mont Saint-Nicolo, dans un vallon aride, à l’entrée duquel
se voyaient les traces de quelque grande ferme non loin d’un puits dont
les bords étaient 'éboulés ; on avait fait environner ce puits d’une balustrade
grossière, le long de la route, pour empêchêr qu’on ne s’y
précipitât dans l’obscurité. Comme je m’enfonçais dans le silencieux
vallon, en déplorant les horribles événemens qui en ont fait une solitude,
et que, m’abandonnant à de tristes «pensées, j’étais demeuré
en ^arrière de mes compagnons de voyage, je m’entendis appeler par
mon nom ; ne reconnaissant ni la voix de M. Blouet, ' ni celle de
M. Dubois, déjà fort éloignés, je croyais m’être trompé, quand mon
nom retehtit de nouveau, et fut pour la première fois répété par les
échos du Péloponèse : m’étant retourné, je reconnus, dans celui qui
m’appelait, le marquis de Dalmatie, monté sur un cheval du pays,
et suivi d’un chasseur d’ordonnance; il arrivait de Smyrne, et nous
nous rencontrions, comme à point nommé, en Morée, où j’avais précisément
à lui remettre des lettres dont sa famille m’avait chargé.
M. Soult se rendait à bord du Conquérant, M. de Rigny devait l’y
recevoir pour le reconduire en France : le lieu et la singularité de la
rencontre ajoutèrent au plaisir que j’éprouvai en revoyant le digne fils