
forte qu'on avoit peine à fe perfuader qu’elle fut
fortie par la pointe de da dent. Et voilà , fuivant
M. l’AbbéFontana, ce qui a occafionné la méprife de
Redi. Il fe fervoit de Vipères vivantes , auxquelles
il faut ouvrir la gueule par force , enforte que
dans ce cas la liqueur s’échappe trop promptement ,
outre qu’on ne peut fans danger, l’obferver d’allez
près pour n’y être pas trompé. En employant,
comme a fait M. l’Abbé Fontana , des Vipères
mortes , on fe procure la facilité d’obferver à
loilir & avec certitude la manière dont fe fait
l’émiffion de leur venin. M. l’Abbé Fontana a auffi
remarqué que l’humeur jaune fortoit de toutes les
dents canines à la fois , & non pas d’une feule dent
de chaque côté , ainfi que l’avoit avancé Nicholls.
Nous ne fuivrons pas M. l’Abbé Fontana dans
les détails où il entre au fujet du lieu où eft fitué
le réfervoir du venin de la Vipère, parce que ces
détails ont un rapport direâ avec l’examen anatomique
de la Vipère, qui n’êft point de notre objet.
Nous nous contenterons de dire , que d’après les
obfervations de ce Naturalise , le liège du venin
dont il s’agit eft dans une petite veflie placée fous
les mufcles de la mâchoire fupérieure , & fur la
partie latérale de cette mâchoire. Le venin , en
fortant de la véficule, eft reçu dans un petit canal
qui traverfe la gaine dont la dent eft enveloppée,
& qui tranfmet la liqueur immédiatement dans
l ’intérieur de la dent.
Quelques Naturaliftes ont cru que la morfure
de là Vipère n’étoit mortelle qu’à c.aufe de la rage
dont cet animal étoit tranfporté au moment où il
mordoit, enforte que l’aâivité de fon venin v e -
noit, fuivant ces Auteurs , à l’énergie de fa falive
exaltée, plutôt qu’au car-aétère même de la liqueur
jaune.
forcé j mais aucun n’en parut incommodé ; fiôü-
vellc preuve que le danger de la morfure des
Vipères réfide uniquement dans l’humeur jaune
qui fort de leur dent, & non dans l’écume qui
I leur inonde la gueule, lorfqu’elles font en fureur.
M. l’Abbé Fontana a mis fouvent des' Vipères
en fureur ; il leur a enfuite ouvert la gueule de
manière qu’elles ne puffent ni ferrer ni mordre ;
& sprès avoir imbibé des tampons de cotpn de
cette falive ou bave dont toute la gueule étoit
baignée , il a appliqué ces tampons à des animaux
bleffés , mais qui ne rendoient plus de fang par
leur plaie, & jamais il n’eft réfulté aucun accident
de cette application. L ’animal même ne pa-
roifloit pas en être incommodé. De là M. l’Abbé
Fontana conclud que ce n’eft ni la bave de la Vipère
, ni aucune autre des humeurs de fa gueule
qui tuent les animaux qu’elle a mordus.
M. l’Abbé Fontana prit du venin dans les dents
mêmes de plufteurs Vipères auxquelles il avoit
coupé fubitement la tête , dans le moment où elles
étoient calmes & tranquilles, & ce venin, appliqué
avec foin fur desbleflùres faites àdifférens animaux,
a toujours tué ceux - c i , fans qu’aucun ait échappé
à fon a&ivité. Enfin , après avoir fait mordre fuc-
ceffivement. plufieurs animaux, par une Vipère ,
jüfqu’à ce que fon venin fut épuifé , il la tourmenta
au point de la mettre en fureur, .& lui
jvéfenta des animaux qu’elle mordit de toute fa
Le même Naturalise fe propofa auffi. de re-
f chercher fi le venin de la Vipère en étoit un pour
1 fon efpèce , ainfi que l’avoient avancé des auteurs
| très - graves , & entr’autres le Doâeur Mead ,
j d’après des raifons d’analogie fondées fur l’exemple
de certains animaux, tels que les Scorpions, les
| Araignées , & même quelques Serpens , comme
j ceux qu’on appelle Serpens à fonnettes, dont on
I a cru que la morfure faifoit périr les autres ani-
« maux de la même efpèce. M. l’Abbé Fontana
faifit par le col une Vipère avec des pinces, tandis
que de l’autre main il tenoit la queue, pour manier
la Vipère avec plus de fûreté : il en fit faifir de
même une fécondé par une autre perfonne. Il
préfenta le corps de l’une à la tête.de l’autre ; celle-
j ci fe lentant prife & ferrée étroitement par le
J c o l, fiffloit, fe tordoit, & à la fin déchargea fa
fureur fur l’autre Vipère qu’elle mordit plufteurs
fois , & q u i, à chaque morfure , témoigna, par la
vivacité de fe s ■ mouvemennla douleur quelle
reffentoit. On voyoit à l’endroit où elle avoit ete
mordue une légère blefiùre baignée du venin de
la dent & du fang de la plaie. Cette Vipère enfermée
enfuite dans un vaiffeau de verre y refta
tranquille ; deux heures après la partie mordue
fe trouvoit un peu enflée. Mais cette enflure disparut
bientôt. La Vipère reprit toute fa vivacité
, & depuis ayant été mife en liberté avec
une autre , elle ne montroit pas moins de force
& d’adivité que celle qui fervoit de terme de
comparaifon. M. l’Abbé Çontana ayant tué cette
Vipère au bout de trente-fix heures, trouva plu-
fieurs trous à la peau dans l’endroit où elle avoit
été mordue ;. les mufcles même du dos, étoient
percés très-profondément, & les coups de dent
avôient pénétré le corps de part en part dans
plus d’un endroit, ainfi.que les vifçères du bas-
ventre. Enfin les bleflùres étoient légèrement
enflammées , mais il n’y reftoit plus aucuns
veftiges de tumeur.
M. l’Abbé Fontana a répété, plufieurs fois cette
expérience, en la variant de plufieurs manières ;
il a même enlevé la peau du dos à trois Vipères t
avant de les faire mordre par d’autres, afin d’introduire
plus fûrement le venin dans leur fang.
-Mais aucune des trois ne mourut des bleflùres
qu’elle avoit reçues ; aucune même ne parut en
être malade, excepté une feule qui donna des
fignes d’affoupiffement & de langueur, & qui
enfla fur le dos. Enfin, le vénin d’une Vipère
introduit dans fon propre fang par des bleflùres
qu’on lui avoit faites dans la gueule , ne produifit
aucun effet funefte.
Après s’être aflùré que le venin de la Vipère
n’étoit mortel ni pour elle - même, ni pour foi*
«fpèce, M. l’Abbé Fontana foupçoftfta qu’il pourroit
bien fe trouver d’autres animaux qui échapaffent
également à fon aâivité. D’après cette conjeâure,
il s’engagea dans une longue fuite d’expériences
faites fur des animaux de différentes efpèces. Il
commença par les Sangfues que l’on fçait avoir
]a vie fort dure. Après les avoir bien eflùyées,
pour empêcher que cette efpèce de mucofité dont
elles font enduites ne laiflat de l’équivoque dans
le réfultat de l’expérience, il les faifoit mordre
par des Vipères irritées. Il fit plus ; après leur avoir
ouvert le corps par de profondes bleflùres , à
l’aide du biftouri & des cifeaux, il faifoit couler
dans la plaie de grofles gouttes de venin. Il leur
pafloit quelque fois au travers du corps des tampons
d’étoupe imbibés de venin. Mais les Sangfues ’
ont réfifté conftamment à ces différentes épreuves
& aucune n’en eft morte. Des Limaçons & des
Limaces fournis aux mêmes expériences n’en ont
pas été plus incommodés.
Des tentatives femblables. ont été inutiles fur
diverfes efpèces de Serpens, tels que l’Afpic qu’on
trouve dans les campagnes de P iîe , l’Orvet & la
Couleuvre ordinaire. Il n’en a pas été tout-à-fait
de même des Tortues d’e au, mordues par les
Vipères. Plufieurs 3 à la vérité , fe font trouvées à
l ’abri des atteintes du venin ; mais d’autres en font
mortes, l’une auffi-tôt après qu’elle eut été mordue
par dix-huit Vipères, une fécondé douze heures
après que trois Vipères feulement lui eurent fait
des morfùres au c o l, & une troifième au bout
de vingt-quatre heures, quoiqu’elle n’eut été mordue
qu’aux pattes par deux grofles Vipères.
M. l’Abbé Fontana a continué fes expériences
fur différens animaux, dans la vue d’éprouver
f i les remèdes les plus vantés contre. la morfure
des Vipères étoient réellement des fpécifiques
allurés dans ce cas. Cette queftion. n’eft point de
notre objet, mais nous citerons les réfiiltats de plufieurs
épreuves faites fur les animaux auxquels
M. Fontana ne faifoit prendre aucun remède , après
la morfure de? la Vipère , afin qu’ils puffent fervir
de terme de comparaifon par rapport à ceux que
l ’on traitoit par les méthodes ordinaires.
Six moineaux mordus par autant de Vipères
moururent après différens efpaces de temps, depuis
fept minutes jufqu’ à environ une demie
heure*
Plufieurs Pigeons auxquels on fit fubir la même
épreuve moururent auffi, mais dans des intervalles
de temps beaucoup plus inégaux , puifque l’un de
ces oifeaux ne furvécut que quatre minutes' à la
morfure de la Vipère, tandis que d’autres n’expirèrent
qu’au bout- d’une , deux & même dix
heures.
Trois Poules mordues chacune par une Vipère
moururent après fept, neuf ôc vingt heures.
De plufteurs Cochons d’Inde qui avoient reçu
des morfùres de Vipères , les plus petits moururent
tous. Mais quelques-uns des gros échappèrent à
l’a&ivité du venin, & guérirent après avoir été
très - malades pendant plufieurs jours. Le réfultat
fut à - peu - près femblable a l’égard de plufieurs
Lapins fournis aux mêmes expériences.
La plupart des Chats que M. l’Abbé de Fontana
fit mordre par des Vipères, en revinrent &
guérirent en peu de jours , & quelques - uns au
bout de vingt & trente heures.
Il étoit intéreffant d’éprouver les effets de la
i morfure des Vipères fur les Chiens , qui ont beaucoup
de rapport avec l’homme. Le réfultat des
1 expériences de M. l’Abbé Fontana relativement à
cet objet, eft que les plus petits Chiens meurent
communément tous de la morfure de la Vipère ,*
qu’il n’en meurt ordinairement aucun des plus
gros ; enfin que parmi les médiocres , quelques-
uns échappent & les autres fuccombent. En général
il paroît que le venin de la Vipère eft moins
funefte aux animaux, à proportion de leur groffeur,
ce qui peut faire préfumer qu’il n’eft pas toujours
mortel pour l’homme, & que certaines guérïfons
qui ont été attribuées aux remèdes émployés en
pareil cas, venoient peut - être plutôt des efforts
de la nature que des reffources de l’art.
Nous terminerons cet article p’ar une expofition
abrégée des obfervations de M. l’Abbé Fontana
fur la faveur du venin de la Vipère, & fur les
différentes figures qu’il préfente, lorfqu’on l’ob-
ferve au microfcope après qu’il a été defféché.
Redi avoit avancé que le venin de la Vipère
étoit infipide, & exçitoit fur la langue une im-
preffion affez femblable à celle de l’huile d’amandc-s
douces. Mais il paroît qu’il n’a donné cette affection
que fur le rapport d’autrui. Le doâeur Méad,
au contraire, dit qu’il a goûté lui-même le venin
de la Vipère , qu’il l’a fait goûter à d’autres , &
que ce venin eft âcre & mordant, & qu’il laiffe
fur la langue , pendant plufteurs heures, une fén-r
fation dé brûlure, quoiqu’on l’ait délayé avéc
de l’eau chaude. Il ajoute que ceux qui ont
eu la témérité de le goûter pur en font bientôt
punis par la douleur & la tuméfaction de la langue.
M. l’Abbé Fontana, pour fe mettre à portée de ;
décider entre ces deux fentimens contradiéloires 1
réfolut de goûter lui-même de ce venin. Il l’étendit
d’abord dans dix ou douze parties d’eau , &
en chargeant peu à peu le mélange d’une plus
grande quantité de venin , il en vint par degrés à
le mettre tout pur fur fa langue, qu’il roula autour
.de fes lèvres , pour mieux développer la faveur
du venin. Mais cette faveur ne lui parut rien
avoir d’âcre ni de piquant ; elle avoit quelque
chôfe de femblable à celle de la graiffe fraîche
des animaux , avec une très-légère odeur qu’on
pouvoit à peine diftinguer.
M. l’Abbé Fontana a fait goûter à d’autres le
venin de la Vipère , & ils ne l’ont trouvé ni cauf-
tique ni brûlant. On éprouve feulement après
l’avoir goûté une fehfation particulière de torpeur
ou d’engourdiffement j la langue femble être de