
pourfuivre une proie qui tend à échapper , con-
noître celle à laquelle on le defline, & le montrer
âpre à la faifir. Cette dernière partie de l’éducation
exige encore quinze à vingt jours *, qui fe
partent dans les exercices fuivans :
On enferme dans une peau de lièvre un poulet
qui parte la tête par un trou pratiqué à la peau :
on la fixe fur une planche , comme fi le lièvre
étoit couché fur le ventre. On montre de trois à
quatre pas ce leurre à l’oifèau , il s’y porte ; le
poulet retire la tête ; mais fes cris , fes mouve-
mens animent le gerfaut, qui s’acharne fur la peau ;
on l’excite , en lui donnant fur le poil quelques
bécades enfanglantées ; on le relève, on le couvre
& on répète , mais à cinq à fix pas de diftance,
& en communiquant quelque mouvements« ïeiirre,
qu’on avoit d’abord préfenté immobile.
Les dix jours fuivans font confacrés au même
exercice, mais en lui donnant plus d’extenfion de
jour en jour. On montre la peau qui fert de leurre,
de plus en plus loin ; on lui imprime plus de mouvement
; on la fait lentement tirer par un piqueur,
qui enfuite l’entraîne , en courant à toutes jambes,
& les deux derniers jours il monte à cheval , part
au grand galop , en traînant après lui la peau.
L ’oifeau ne l’atteint d’abord *que le bec ou v e rt,
& haletant ; mais l’exercice le met en haleine , &
on répété jufqu’à ce que l’oifeau arrive le bec
fermé fans haleter. Cëtte leçon .n’eft pas feulement
néceflaire pour apprendre au gerfaut à con-
noître le lièvre , mais pour le fortifier & le mettre
en haleine , ce qui eft indifpenfable pour quel-
qüe vol qu’on lé deftine : chaque fois qu’il atteint
la peau , qu’il s’y acharne, on lui donne fa curée
dellus. L’éducation feroit finie fi l’oifeau étoit défi
tiné pour le lièvre ; mais fi l’on a pour but de
lui faire voler le héron , la bufe , ou quelqu’autre
oifeau, après l’avoir mis en haleine, par l’exercice
de la peau de lièvre , qu’ori nomme traîneau, on
lui fait connoître l’oiféau auquel on le defiine , &
on l’y habitue ,; en le leurrant fur une peau de
l’efpèce pour laquelle on fe ;dreffé , en.'lui'jettaiit
cette pèau de plus en plus loin , fen l’aCcoutu-
mant à la. lier en l’air pendant quelle retombe,
en lui faifant manier le v i f , lui donnant, pour
l’y acharner , des bécades enfanglantées à travers
les plumes, en lâchant la proie .devant lu i ', le
découvrant à l’inftant qu’elle prend fon eiTôr, la
lui faifant lier d’abord à une foible"hauteur, puis
à une plus grande; car lorfqu’il .l’a une fois liée
à trente pieds d’élévation , il la lie. bientôt AV cinquante
, puis à cent ; enfin, â' quelque hauteur
qu’elle s’élève , & fôn éducation eft finie. :
Quoique je fois entré dans beaucoup de détails,
j ’ai été forcé d’en omettre ,: auxquels la fagacité du
lefteur peut fuppléeri Je me fuis attaché à donner
les moyens de dreffer lé plus indo’ciîe des oifeaux,
&. de le former pour la proie à laquelle on le
defiine. On peut , en. appliquant1 fon exemple
aux autres efpèces, juger de la manière dont il
convient de les traiter, fuivant qu’elles ont avec
lui plus ou moins de rapport ; c’eft pourquoi je
me renfermerai à leur égard dans quelques faits
particuliers.
Des fzeres.
On traite ces oifeaux encore plus févèrement
que les gerfauts, relativement au régime : comme
ils font plus fiers, on ne les abbat que par un
jeûne prefque exceflif. On commence à les prendre
fur le poing, & à leur faire la tête quand leur
corps eft à moitié baiffé. On continue à les nourrir
très-peu, à les affoiblir jufqu’au point qu’ils foient
prêts du marafme , & qu’ils aient peine à fou-
tenir leurs ailes. C’eft alors qu’on commence à
les dreffer , & leur éducation dure de trente à
trente-cinq jours. Les trois premiers on leur donne,
comme aux gerfauts , des leçons dans une chambre
où l’on prépare ce qui eft néceflaire. Le quatrième
on leur apprend, par le moyen de l’appât,
à fauter du poing fur la table, de là table fur le
poing , & en répétant cette aéfion à fauter de
terre fur le poing, de l’étendue de leur longe,
qui doit avoir environ trois pieds : cet exercice
s’appelle jardiner. Si l’oifeau fe montre franc , on
commence à le remonter , c’eft-rà-dire à rétablir
fes forces par la nourriture , ou l’on ne fait que
l’empêcher , pour ainfi-dire de mourir de faim ,
jufqu’à ce que fa docilité engage à le mieux alimenter.
Du cinquième au quinzième jour les leçons
du leurre fe donnent en plein air , de plus en plus
loin : les dernières à la diftance de cent pas : celles
de l’exercice , qu’on appelle jardiner , fe donnent
auflï en plein a ir , & confiftent à fauter du poing
fur une motte de gazon, du gazon fur le poing :
le maître pofant d’abord un genou en terre, &
préfentant le poing baiffé , puis le maître fe tenant
debout, & préfentant ’ le poing de plus loin en
plus loin ; le feizième jour on ôte la longe pour
leurrer •. on exécute deux fois cette leçon à deux
cent pas de diftance chaque fois. •
Le vingtième jbur on donne au piquet un pigeon
vivant. Quelquefois l’oifeau a de la peine à s’y
acharner, comme s’il ne connoiffoit plus le v if :
on doit peu s’en inquiéter.
Le vingt-un , fuivant le vol auquel on deftine
l e fa c re , on lui donne, ou la peau de liè vre , fi
on le .deftine à la charte de ce quadrupède, ou une
poule d’un brtrn obfcur, fi on le drefle pour voler
là bufe ; & enfin une pôule d’un plumage roufi'
fëâtre , fi on le drefle pour le vol du milan. Le
lendemain ;on donne au piquet le milan bu la bufe
même , après leur avoir émoufle les ongles & le
bec. Les jours fuivans, jufqu’à la fin de l’éducation
y les leçons: confiftent, f>our la chafle du
lièvre , à en donner'là peau, d’abord fut la table ;
puis à terré , traînée &c emportée à la courfe j
comme pour lès- gerfauts ; enfin, à faire charter
le 'liè v re , même pôurfuivi en plaine par des
chiens , retardés dans leur courfe par la plate-longe :
fi c’eft pour bufe ou pour milan , a donner graduellement
T efeap de ces oifeaux , d abord à la
filière., puis libre , à des diftances & des hauteurs
de plus en plus grandes ; enfin, fuivant que
les circonftances l’indiquent , pour echauffer les
oifeaux, pour les animer, on les leurre dans des
peaux de bufes ou de milans, & en les leur jet-
tant, on les accoutume à les lier.
Des faucons.
Il n’eft pas néceflaire d’aflùjettir les faucons a
un régime très-rigoureux ; leur éducation, n’exige
qu’environ trente jours, & ne coûte pas autant
de foins que celle des oifeaux dont nous venons
de parler. L qs faucons-niais font quelquefois dreffes
en quinze jours ; ils doivent cet avantage a ce
qu’ils fontprefque apprivoifés quand on les reprend.
L ’éducation des faucons -hagards eft plus lpngue
que celle des fo rs , & celle de ces derniers, que
celle des niais. C ’eft une différence qui a lieu
pour tous les oifeaux qu’on drefle. Lorfque le corps
du faucon eft à , demi-baiffé, on commence à lui
faire la tête. ; trois jours y fuflifent quelquefois :
on lui donne enfuite des leçons dans la chambre ;
elles confiftent à lui apprendre à fauter du poing
fur la table, de la table fur le poing ; le quinzième
jour , à compter de celui.où l’on a commencé
à faire la tête , on donne au faucon , dans
un champ, les leçons de cet exercice qu’on appelle
jardiner ; le vingtième celle du pigeon vivant
au piquet ; le vingt-deuxième celle de la
petite efeap , le pigeon étant tenu à la filière, &
le faucon libre ; le vingt - troifième jour on fe
décide fur l’ufage auquel on veut employer le
faucon , & fuivant qu’on le deftine, on lui donne
au piquet, pour la corneille , une poule noire, une
roujfe , pour le jnilan, une dinde grife, pour le héron ;
le lendemain on le tient très-ferme : le leéleur fe
fouvient que c’eft lui donner fort peu de nourriture.
Le vingt-cinquième jour on donne au piquet
la corneille, le milan, ou le héron, leurs ongles
émouffés, & le bec convenablement pris dans
une forte d’étui ; car il ne faut pas que le faucon,
ni les autres oifeaux en général, éprouvent, avant
' d’être faits entièrement, une réfiftance qui pour-
roit les rebuter : le lendemain & le fur-lendemain
une demi-efeap ; le vingt-huitième jour une efeap
en liberté, & plus élevée que les précédentes ;
le trentième jour la grande efeap.
Il eft à propos d’obferver que quelques faucôns
décèlent leur inclination pour le héron, à la première
vue de cet oifeau ; qu’il n’en eft pas de même
par rapport au milan, auquel ils fe font cependant
: que les plus tardifs deviennent aufli bons
que les autres, qu’ils exigent feulement plus de
ces expédiens , dont je n’ai pas parlé dans cet
article , mais qu’on peut fe rappeller, d’après les
précédens , comme de leurrer dans la peau de
Vanimal , au vol duquel on defline Voifeau , &c,
Hifloire Naturelle, Tome 11,
Quelques faucons fe jettent, auflitôt qu’ils font
découverts, fur toute forte de volatille : on les
en eftime moins, parce que c’eft un figne qu’ils
ne feront pas aufli bons' à l’ufage particulier auquel
on les deftine.
Je n’ai déterminé, ni par rapport aux faucons
ni par rapport aux fâcres, les jours où on leur
donne des cures, & où on les baigne. Comme
ces deux objets me femblent plus relatifs à la
fanté,qu’à l’éducation , je crois qu’il fuffit de dire
que pendant l’éducation on donne à ces oifeaux
deux à trois fois des cures , ôc qu’on les baigne
autant.
Pour les baigner, on les porte au bord de l’eau,
on les y attache près du bord par la longe , oa
fe retire à l’écart ; on attend qu’ils aient pris le
bain d’eux-mêmes , ou en les relevant & les tenant
fur le poing , par la longe , on les fait tomber
dans l’eau. C ’eft au maître à ju g er, d’après les
circonftances , du befoin des cures & du bain ;
mais le dernier ne doit fe pratiquer que quand
l’oifeau commence à avoir beaucoup perdu de fa
fierté, & à fe familiarifer.
Des émérillons,
L a familiarité naturelle de ces oifeaux les rend
très-faciles à drefler, & abrège beaucoup leur éducation.
On ne leur met point de chaperon ; il fuffit
de les avoir portés fur le poing quelques heures:
pendant deux ou trois jours , de les avoir,
ajfriandés par quelques bécades , tandis qu’on les
portoit, pour qu’ils foient emprefles à voler vers
le maître auflitôt qu’ils le voyent. On les enferme
alors dans une chambre dont la fenêtre ouverte
eft couverte d’une toile qui y eft tendue ; on les
laifle en liberté dans cette chambre ; ils volent
ou fautent fur le maître auflitôt qu’il y entre z.
alors il eft temps de les porter en plein air
& de leur y apprendre à fauter fur le poing ; c’eft
ce qu’on peut .commencer dès le cinquième oit
fixième jour de l’éducation. Auflitôt que l’émé-
rillon faute fur le poing , à la diftance de vingt
pas, il- eft temps de lui donner d v i f , qu’on lui
préfente dans le même éloignement ; un aide
lâche une alouette attachée à une longue & légère
ficelle , l’émérillon ne manque pas de faifir cette
proie ; mais auflitôt qu’il la liée , il la prend dans
fon b e c , pour la reprendre enfuite dans fes ferres
& l’emporter : défaut commun à tous les émérillons
, qu’il faut détruire dans Jeur éducation ,
& qui en eft.le feul article difficile. Pour y réuflïr,
au moment où l’émérillon a faifi l’alouette avec
fon b e c , on tire la ficelle , en lui donnant une
faccade ; l’alouette échappe à l’émérillon , ou il ne
lui refte que la tête, dont il fait curée ; on tire
près de foi l’alouette, au moyen de la ficelle , &. on
la parte preftement dans un crochet enfoncé exprès
en terre ; l’oifeau vole fur fa proie avec une forte
de fureur ? & ne pouvant l'enlever, s’en raflafie