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qui paroiffoit entre ces amas de grains. La couleur
de ce fond n’a changé qu après la mort de
1 animal ,■ & eft devenue d’un gris-brun , tandis
que les petits grains ont pris une couleur blanchâtre.
On a reconnu depuis que tous ces grains,
tant les gros que les petits , étoient formés en
partie par la peau qui étoit creufe par deffous
chaque grain, & en partie par plufieurs pellicules
fort minces , & appliquées les unes fur les autres ,
qui augmentoient Tépaiffeur de chaque boffette.
^ L a couleur du Caméléon, lorfqu’il étoit en repos
a 1 ombre, & qu’on l’avoit laiffé long - temps fans
le toucher, étoit d’un gris-bleuâtre, à la réferve
du deffous des pattes qui étoit d’un blanc un peu
jaunâtre, & des intervalles qui féparoient les amas
de petits grains , & qui étoient d’un rouge - pâle ,
ainfi qu’il a été dit plus haut. Cette couleur grife
qui étoit .répandue fur prefque toute la peau du
Caméléon, expofé au grand jour , changeoit quand
il etoit au foleil, & tous les endroits de fon corps
qui étoient frappés par les rayons de cet aftre ,
prenoient un gris plus brun & tirant fur le minime.
Le refte de la peau qui n’étoit point éclairé
par le foleil, fe peignoit de couleurs plus éclatantes,
qui formoient des taches de la grandeur de la
moitié du doigt. Quelques-unes de ces taches
defcendoient depuis la crête de l’épine , jufqu’à la
moitié du dos ; d’autres paroiffoient fur les côtés, fur
les jambes de devant & fur la queue. Elles étoient
toutes de couleur ifabelle, par le mélange d’un
jaune-pâle , dont les petites éminences étoient
-teintes, & d’un rouge-clair, dont fe coloroitle fond
de la peau qui paroiffoit entre les grains.
Les interftices des taches , fur le refte de cette
peau , qui n’ayant point reçu la lumière du foleil
étoit demeuré d’un gris plus pâle qu’à l’ordinaire
reffembloient aux draps mêlés de laine de plufieurs
couleurs ; car quelques-uns de? grains étoient d’un
gris un peu verdâtre ; d’autres d’un gris minime
d’autres du gris bleuâtre qu’ils avoient ordinairement,
les parties rougeâtres qui étoient entre ces
grains ayant confervé leur couleur naturelle.
Lorfque le foleil ceffa de'luire, la couleur grife
revint peu-à-peu , & fe répandit par tout le corps,
à la réferve du deffous des pieds qui conferva fa
première couleur, mais renforcée par une teinte
un peu plus brune. E t lorfqu’étant dans cet état,
quelqu’un de la compagnie le mania pour l’obier
ver , il parut aulli-tôt fur. les épaules & fur les
jambes de devant, plufieurs taches fort noirâtres
de la grandeur de l’ongle, ce qui n’arrivoit point
lorfqu’il étoit manié par ceux qui le gouvernoient.
Quelquefois il devenoit tout marqueté de taches
brunes qui tiroient fur le verd. On l’enveloppa
enfuite dans un linge, & après qu’on l’y eut laiffé
deux ou trois minutes, on l’en retira blanchâtre.
Cette couleur s’effaça infenfiblement & fit place
à la couleur ordinaire.
Cette expérience fit voir qu’il n’étoit pas vrai
que le Caméléon prit toutes les couleurs, excepté
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le blanc, comme l’ont dit Plutarque ( Plu t , de la
flatterie ) & Sorlin ; car celui dont il s’agit avoit
tant de difpofition à recevoir cette dernière couleur
, qu’il devenoit pâle toutes ler nuits ; & quand
il fut mort il avoit plus de blanc que de toute autre
couleur. On n’a point obfervé non plus qu’il changeât
de couleur par tout le corps , comme l’a prétendu
Ariftote ; car les couleurs accidentelles qu’il
prenoit ne s’étendoiènt que fur certaines parties de
fon corps.
Pour n’omettre aucune expérience fur le changement
des couleurs du Caméléon, on le plaça fur
des étoffes de diverfes couleurs, & même on l’en
enveloppa. Mais il ne prit point ces couleurs ,
comme il avoit fait la blanche, après qu’on l’eut
enveloppé dans un linge ; & même cet effet n’eut
lieu que la première fois qu’on en fît l’expérience;
oji la réitéra depuis à plufieurs reprifes & en différent
jours , mais fans aucun fuccès. 11 eft vrailem-
blable que la blancheur qu’on obferva fur fon corps,
au fortir d’un linge froid où on l’avoit tenu quelque
temps caché fous un manteau , provenoit en partie
de, l’obfcurité qui le fait ordinairement pâlir , ÔC
en partie du froid qui fut ce jour-là plus fenfible
que celui de tous les autres jours pendant lefquels
on a obfervé ce Caméléon.
Il paroît prouvé, par-tout ce qui vient d’être dit,
que le Caméléon ne prend point la couleur des objets
dont on l’approche , ainfi qu’on l’avoit cru , mais
que les changemens de couleur qu’il fubit , font
dus aux divers mopvemens intérieurs dont il eft
affeélé, & aux impreflions que font fur lui le chaud
& le froid , la préfence ou l’abfence de la lumière.
Pour revenir à la defcription du Caméléon , fa
tête étoir affez femblable à celle d’un Poiffon. Elle
tenoit à la poitrine par un cou fort court & garni
fur les côtés de deux avances cartilagineufes , qui
reffembloient aux ouies des Poiffons. Sur le fommet
étoit une crête droite & élevée, & au-deffus des
yeux il y en avoit deux autres qui étoient tournées
comme une S couchée. Entre ces trois crêtes,
il y avoit deux cavités le long du deffus de la tête.
Le mufeau formoit une pointe obtufe, & avoit,
ainfi que l’obferve Linnæus , deux arrêtes qui defcendoient
depuis les fourcils jufqu’à fon extrémité ,
ce qui lui donnoit de la reffemblance avec celui
d’une grenouille. Sur le bout du mufeau-, il y avoit
un trou de chaque côté pour les narines, & comme
le Caméléon n’a point d’autres ouvertures à la tête ,
on a conjeéluré qu’elles lui tenoient lieu d’ouïes.
Il paroît auflï que c’eft uniquement par ces deux
ouvertures qu’îl refpire, parce que fa gueule eft
pour l’ordinaire fermée fi exa&ement, qu’il femble
n’en point avoir , fes deux mâchoires étant réunies!
par une ligne prefque imperceptible. Pline, Sorlin,
& la plupart des Auteurs qui ont décrit le Caméléon,
n’avoient fans doute pas vu cet animal vivant ,
puifqu’iis difent qu’il a la gueule toujours ouverte,
ce qui ne lui arrive que quand il eft mort.
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Les mâchoires étoient garnies de dents, ou plu- ;
tôt d’un os dentelé dont il ne paroiffoit faire aucun
ufage pour manger ; il avaient les mouches & les
autres infe â es, fans les mâcher. La,gueule étoit
fendue d’une manière toute particulière. Car l’ouverture
des lèvres, qui , dans les autres animaux ,
eft plus petite que celle des mâchoires », s’étendoit
au-delà dans le Caméléon, & ce prolongement de
fente avoit une direéiion oblique de haut en bas.
( Na Linnæus, dans la defcription citée ci-deffus,
dit que le Caméléon n’a point de dents, apparemment
parce que cet Auteur ne regarde point comme
de vraies dents les parties Taillantes de cet os dont
parle ici M. Perrault ).
La forme fphérique des yeux étoit plus fenfible
que dans les autres animaux ; car ils n’étoient point
enfoncés dans la tê te , comme Sorlin les décrit,
mais faillantsfen dehors de toute la moitié de leur
globe. Le trou de la membrane qui tenoit lieu
de paupière , n’avoit pas une ligne de largeur ,
& laiffoit voir affez facilement la prunelle , qui
etoit brillante, brune & comme bordée d’un petit
cercle d’or. Le devant de l’oeil paroiffoit attaché
à la paupière, laquelle ne fe hauffoit & ne fe baiffoit
pas, comme celle des autres animaux , qui peuvent
donner à leur paupière un mouvement différent de
celui de l’oeil ; car la paupière du Caméléon fuivoit
exaélement tous les mouvemens de l’oeil. Mais ce
qu’il y a de plus extraordinaire dans ce mouvement
, c’eft de voir remuer un des yeux pendant
que l’autre eft immobile ; l’un fe tourne en avant,
tandis que l’autre regarde en arrière ; l’un s’élève
vers le c ie l, quand l’autre s’abaiffe vers la terre ; &
tous ces mouvemens s’étendent fi loin , que la
prunelle fe porte jufques fous la crête qui forme le
fourcil, & s’enfonce dans les coins de l’oe il, au
point que l’animal peut découvrir les objets placés
derrière lu i, & ceux qu’il a dire&ement en facé ,
fans que fa tête , qui eft ferrée contre les épaules,
foit tournée.
La langue, que l’on a comparée à un ver>de
terre*>, étoit longue de dix lignes, ( Nota. 11 faut
remarquer que c’eft le plus grand des trois Caméléons
qui éft l’objet de cette defcription. ) large de trois ,
& un peu applatie vers fon extrémité. Il y a apparence
que les anciens , qui ont cru que le Caméléon
ne vit que d’a ir , n’avoient pas vu l’ufage que cet
animal fait de fa langue. Ori a obfervé qu’il fuin-
toit continuellement de cette partie une glue naturelle
, par le moyen de laquelle l’animal prend
les infeéles qu’on lui préfente ou qu’il rencontre,'
& c’eft une chofe furprenante que la vîteffe avec
laquelle il retire fa langue dès que fa proie y eft
attachée.
( Nota. Linné obfervé que les Indiens laiffent volontiers
le Caméléon s’introduire chez eux , pour
fe débaraffer des infeâes qui les incommodent.
( Amotn. ac. p. 572 ).
Le plus grand des trois Caméléons dont on a
parlé, fut le feul auquel on put faire prendre des
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infeâes. Les deux autres ne mangèrent prefque
point pendant cinq ou fix mois qu’ils vécurent à
Paris. Ils fucèrent feulement quelques grains de
raifin qu’on leur préfenta.
La forme des pieds étoit telle qu’elle a été décrite
plus haut. A l’aide de ces pieds, le Caméléon
faififfoit les petites branches des arbres , comme fait
le Perroquet, qui, pour fe percher , partage fes
doigts autrement que la plupart dés autres oiieaux ;
car ceux-ci en mettent toujours trois devant &
un derrière , au lieu que le Perroquet en met deux
derrière comme devant. Les ongles étoient un peu
crochus , fort pointus & d’un jaune-pâle ; ils ne
fortoient que de la moitié hors de la peau : ils
avoient en tout deux lignes & demie de longueur.
La marche du Caméléon étoit plus lente que celle
d’une Tortuë , mais tout-à-fait bizarre , en ce que
fes jambes étant plus dégagées &. plus longues que
celles de la Tortue ; il les portoit en avant avec
une gravité qui fembloit affeâée. Quelques-uns
croyent que cette démarche fi lente eft un effet de
la timidité de cet animal. Il paroît du moins agir
avec beaucoup de circonfpeâion ; car il femble
choifir les endroits où il doit pofer les pieds, &
l’on a remarqué que quand il monte fur les arbres ,
il ne fe fie point à fes ongles ,, quoiqu’ils foient
plus pointus que ceux des Ecureuils qui graviffent
par-tout avec tant de légèreté ; mais lorfqu’il ne
peut faifir les branches à caufe de leur groffeur ,
il cherche longtemps les fentes de l’écorce, pour
y affermir fes ongles.
( Nota. Ceci ne paroît pas s’ accorder avec
ce que dit Linnæus, que le Caméléon grimpe aux
arbrès avec beaucoup de vîtefle. Voyeç Amotn.
Acad. p. 572 ).
Sa queue reffembloit affez bien à une Vipère
comme Pline le remarque , ou à la queue d’un
grand R a t , lorfqu’elle s’arrondiffoit en s’enflant.
Car autrement, elle étoit relevée dans fa longueur
par trois éminences tranfverfales. Il entortilloit
cette queue autour des branches, & elle lui fervoit
comme d’une cinquième main. Quand il marchoit,
il la laiffoit rarement traîner par terre , mais il la
tenoit dans une direâion parallèle à la furface des
lieux fur lefquels il s’avançoit.
Lorfqu’un des petits Caméléons mourut, l’autre
parut en avoir une fi grande hprreur, qu’il grimpa
au haut de la cage où on les avoit enfermes tous
les deux , & fe tint le plus éloigné du mort qu’il
lui fut poflible.
Les anciens ont attribué au Caméléon des propriétés
ridicules qu’il feroit inutile de rapporter.’
M. Perrault a voulu vérifier l’opinion de Sorlin
fur l’antipathie qu’il fuppofe entre le Corbeau &
le Caméléon , & qu’il dit être fi grande, que le
Corbeau meurt auffitôt après avoir mangé de la
chair du Caméléon. La vérité eft qu’un Corbeau
donna quelques coups de bec à un Caméléon mort
qu’on lui préfenta ; mais on lui en fit manger
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