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Toute la différence confifte en ce que dans ceux-
ci la mâchoire inférieure , outre le mouvement
de haut en bas, en a encore un autre de droite
à gauche pour mâcher & broyer les. viandes ; au
lieu que le Crocodile n’ayant" befoin que d’ouvrir
la gueule pour recevoir fa proie, il luffifoit que
fa mâchoire inférieure pût s’écarter de celle d’en-
haut dans un fens vertical, & la faculté de la détourner
de droite à gauche lui conviendroit d’autant
moins , que fes dents, ainfi qu’il a été remarqué
, s’entrelaflént les unes dans les autres. -
Il eft à remarquer que la plupart des Crocodiles
que l’en voit dans les cabinets des curieux ont
la mâchoire inférieure immobile, & paroiffent
avoir la fupérieure mobile, parce que la peau
étant defféchée & endurcie ne permet pas à la
mâchoire inférieure d’avoir fon mouvement. Or
dans les fujets qui paroiffent avoir la mâchoire
fupérieure mobile, parce qu’on la lève aifément
en-haut, ce n’eft point la mâchoire qui s’é lè v e ,
mais toute la partie fupérieure de la tête , c’eft-à-
dire , la mâchoire fupérieure & le crâne qui a été
féparé par force de la première vertèbre du cou,
& des attaches par lefquelles il tient à la mâchoire
inférieure.
La langue étoit longue de trois pouces , &
large de cinq lignes vers fon milieü, ce qui doit
s’entendre de la chair & des mufcles de la langue ;
car la peau qui la.couvroit étoit bien plus grande ,
étant étendue dans la mâchoire inférieure au bord
de laquelle elie étoit attachée.
Ceux qui ont écrit fur l’hiftoire des animaux
difent beaucoup dè chofes de la langue du Crocodile
, qui ne fe font pas trouvées vraies dans
celui dont il s’agit. Albert (L . 2 4 , de Animal.)
dit que cet animal n’a point de langue, en quoi
il a fuivi Ariftote , ( L . 2., c. 1 7 , Hiß. des Anim. ) ,
qui attribue'le défaut de langue qu’il fuppofedans
le Crocodile , à ce que la fituation des mâchoires
eft renverfée dans cet animal, & que la fupérieure
qu’il croît mobile eft à la place de l’inférieure , &
l ’inférieure qu’il fait immobile, ,à la place de la
fupérieure qu’il confidère comme étant le palais où
il ne doit point y avoir de langue. Et il ajoute que
le Crocodile prenant fa nourriture comme les poil-
fons , c’eft-à-dire l’avalant fans la mâcher , n’a pas
eu befoin de langue, & que c’eft pour cette raifon
que cette même partie fe trouve toujours imparfaite
dans les poiflons. Pline {Hiß’. Nat. L . 8 , c. 5.5.)
femble avoir fuppofé la même chofe, quand il
dit que le Crocodile n’a point l ’ufage de la langue.
Cardan ( L . 7 , c. 3 7 , de rerum variet. ) fait la
langue du Crocodile courte & large , & il la place
dans la mâchoire fupérieure , peut-être parce qu’il
a crû d’après Ariftote que cette mâchoire faifant
l’office de l’inférieure , la langue doit y être attachée
, comme cela eft ordinaire dans les animaux.
Scaliger {Exercit. 18 2 .) croît que la pe-
titeffe qu’il fuppofe dans la langue du Crocodile ,
a fait dire qu’elle manquoit tout-à-fait , mais on
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ne peut pas dire que la langue du Crocodile foit
petite , ni qu’elle foit courte , puifque fa longueur
égale celle de la mâchoire , & il s’en faut de beaucoup
que le Boeuf ait la langue aulfi longue à proportion
que le Crocodile. La feule chofe qui ait pu
faire dire que cette langue étoit petite, c’eft
qu’étant attachée tout à l'entour de la mâchoire
par la membrane qui la couvre , elle ne peut s’allonger
ni fortir de la gueule comme la langue des
autres animaux.
( Nota. Gronovius dit pofitivement que le Cro-
codile n’a point de langue ; mais il ajoute qu’elle
eft fuppléee par les mufcles de la mâchoire inférieure
qui font très-renflés, & par une efpèce de
foupape élaftique , placée au fond de la gueule
entre les angles des mâchoires , & doht le jeu
fert à l’animal pour ouvrir & fermer fa gueule.
Il paroît que cet auteur eft d’accord avec M. Perrault
quant au fond , & qu’ils ne diffèrent entr’eux
qu’en ce que l’iin a cru devoir accorder à la partie
dont il s’ agit le nom de langue, que l’autre lui a
refufé^à caufe de fa forme fmgulière. ). ( Voyeç
G ro n o v . Muf. p. 75. ).
Les pieds de devant avoient cinq doigts, ceux
de derrière n’en avoient que quatre, mais ils
étoientbien plus grands que ceux de devant. Les
uns & les autres étoient réunis par des membranes
qui étoient beaucoup plus grandes aux pieds de
derrière qu’à ceux de devant. Ces membranes
étoient couvertes de petites écailles ; les doigts en
avoient un rang de grandes fur le milieu , & de
chaque côté un autre rang de plus petites. Les
ongles étoient noirâtres , un peu crochus, & beaucoup
moins pointus que les dents , ce qui eft le
contraire de ce qu’on obferve dans les Lions , le's
Tigres & les Panthères qui ont les ongles plus
pointus que les dents.
( Nota. Selon- Gronovius qui a obfervé les longueurs
proportionnelles des doigts dans les pieds
de devant, ces doigts vont en croiffant dans l’ordre
fuivant. L ’intérieur eft le plus court ; le 2 e, le 4* &
le 5 * , qui le furpaffent en longueur font égaux
entr’eux. Le 3 e eft le plus long de tous, Cet auteur
ajoute que le dernier doigt des pieds de derrière
excède en longueur tous les autres doigts. ). {V ,
G ronov. # . ) .
Çhaffe du Crocodile.
M. Àdanfon rapporte , dans fon voyage au
Sénégal, qu’il fi.it • témoin de la manière dont un
nègre tua un Crocodile. Ce nègre avoit apperçu
l’animal endormi dans des brouflailles au pied d’un
arbre , fur le bord d’une rivière. 11 s’en approcha
âffez doucement pour ne pas l’éveiller, & lui
porta fort adroitement un coup de couteau dans le
côté du col, au défaut des os de la tête & des écailles,
& le perça à peu de chofe près de part en part.
L’animal bleffé à mort le répliant fur lui-meme,
quoiqu’avec peine, frappa les jambes du nègre d’un
coup
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coup de fa queue, avec tant de .violence , qu’il le
renveffa par terre. Le nègre fans lâcher prile, fe
releva dans l’inftant, &pour n’avoir rien à craindre
de la gueule meurtrière du Crocodile , il l’enveloppa
d’une pagne , pendant qu’un autre nègre lui
tenoit la queue. Alors le premier retira fon couteau
& coupa la tête de., l’animal, qu’il fépara du
tronc. Dès le foir même on en mangea plufieurs
tronçons. M. Adanfon ajoute qu’ayant goûté dé fa
chair il ne lui trouva point une odeur de mufc
suffi forte qu’on prétend.qu’elle l’a d’ordinaire , &
qu’elle lui parut fort mangeable. ( Hiß. Nat. du
Sénégal, p. 14 8 .) .
Endroit de l'Afrique ou l'on trouve un grand nombre
de Crocodiles ; manière dont ces animaux attaquent
leur proie.
Il n’y a peut-être pas d’endroit en Afrique où
les Crocodiles foient plus multipliés , que dans celui
qu’on appelle l’Efcale aux Maringoins. C’eft l’endroit
où le Sénégal quitte fa direction de l’eft .à
l’oueft, pour defcendre à-peu-près du nord au fud
jufqu’à fon embouchure. Selon M. Adanfon, on
y trouve de ces animaux par centaines , .enforte
que. ce lieu femble être leur rendez-vous. M.
Adanfon en vit qui paroiffoient avoir depuis quinze
jufqu’à dix-huit pieds de longueur. Il y en-avoit
plus de deux cens qui flottoient en même temps
au-deffus de l’eau. Le même Auteur obferve que
ces animaux ne peuvent demeurer que quelques
minutes fous l’e au , fans refpirer. 11 ajoute que
lorfqu’ils furnagent, il n’y a que la partie Supérieure
de leur tête & une partie du dos qui pa-
roiffe à découvert, & qu’ils ne reffemblent alors
à rien moins qu’à des animaux vivans, enforte
qu’on les prendroit pour des troncs d’arbres flottans.
( Nota. M. Adanfon , dans le récit de fon voyage
donne le nom de Niger au fleuve que nous avons
appellé ici le Sénégal d’après le commun des
Géographes).-
Dans cette attitude , qui leur laiffe l’ufage des
yeux , ils voient tout ce qui fe paffe fur l’un &
l’autre bord du fleuve , & dès qu’ils apperçoivent
quelqu’animal qui vient poury boire, ils plongent,
vont promptement à lui en nageant entre deux
eaux, le faififfent par les jambes, & l’entraînent en
pleine eau, pour le dévorer après l’avoir noyé,
f Hiß. Nat. du Sénégal, par M. Adanfon, p. 70. ).
Différences entre les Crocodiles d'Afrique.
M.-Adanfon , dans fon voyage au Sénégal,
diftingue deux efpèces de Crocodiles qu’il a ob-
fervées en faifant le trajet du Sénégal depuis l’embouchure
de ce fleuve jufqu’à Podor., Ces deux
efpèces diffèrent entr’elles par la couleur du corps,
qui fur l’une eft d’un noir plus décidé , & par les
mâchoires que celle-rci a beaucoup plus, allongées.
M. Adanfon ajoute que ce dernier Crocodile eft
Hißoire Naturelle. Tome I I ,
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encore plus carnaffier que l’autre , & qu on le dit
même fort avide de chair humaine. {H ijl. Nat,
du Sénégal , p. 7 4 .).
Ponte des oeufs du Crocodile.
Le Crocodile pond un grand nombre d’oeufs à la
fois, & les dépofe fur les bords fabloneux des
rivières & des lacs. Ces oeufs qui contiennent les
embryons d’un animal monftrueux par fa grandeur
autant que -par fa forme , ne font cependant pas
plus gros que ceux d’une poule dinde. Le Crocodile
après les avoir dépofés , les abandonne ;
c’eft, dit-on , la chaleur du foleil qui feule les
fait éclore. Auflà-tôt que les petits Crocodiles (ont
fortis , ils courent à l’eau & pourvoyant d’eux-
mêmes à leur nourriture ; mais beaucoup d entr eux
font la proie des poiffons voraces , ôt meme des
grands Crocodiles. ( C a t £SB. Carol. 2 , p. 63- )•
Diverfes particularités fur les Crocodiles.
L’Europe eft lafeule des quatre parties du monde
où l’on n’ait point trouvé de Crocodiles. Il doit
même être arrivé rarement que l’on ait tranfporte
hors de leur pays natal des animaux aufli redoutables.
Le premier fait de ce genre dont l’hiftoire
faffe mention, a pour époque l’an «58e avant J . C .
Scaurus dans les jeux qu’il donna aux Romains ,
pendant fon édilité, & où la profufion & la magnificence
en tout genre furent pouffées jufqu’au
dernier e xcès, fit creufer un canal qu il remplit
d’eau , & dans lequel il montra au peuple un
Hippopotame &. cinq Crocodiles. LEmpéieur Au-
gufte donna depuis aux Romains un fpeélacle de
ce genre beaucoup plus impofant.. Il fit remplir
d’eau le Cirque Flaminien , & y expofa aux regards
trente - fix Crocodiles vivans , qui furent tues par
autant' d’hommes exercés à combattre contre ces
animaux. Lampride rapporte qu’Héliogabale avoit
fait venir des Crocodiles qu’il nourrifloit ; c étoit
fans doute avec une profufion aufli ridicule que
celle dont on dit qu’il ufoit envers les Lions de
fa ménagerie , auxquels ce Prince extravagant
jufques dans les moindres chofes , fai foit donner
pour leur nourriture des Faifans ôt des Perroquets.
On dit que le Crocodile exhale une odeur aflez
agréable qui tient de celle du mufc. On ajoute qu il
eft naturellement lâche & timide ; qu’il pourfuk
ceux qui fuient devant lui , mais qu il prend la
fuite à fon tour lorfqu’il fè voit pourfuivi. Selon
le rapport de Plutarque, le Crocodile eft.fufcep-
tible d’être apprivoifé ; il reconnoît la voix de fon
maître , fe laiffe toucher impunément , &. ouvrant
la gueule , il préfente fes dents pour qu on les lui
effuie. Ariftote dit aufli que l’on parvient à rendre
les Crocodiles p r iv é s e n leur donnant abondamment
-de la nourriture , dont la privation eft la
principale caufe de. la guerre que déclarent aux