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hommes ces animaux, qui ne deviennent mal-
faifans, que quand ils font excités par l’aiguillon
du befoin.
On a beaucoup parlé de deux ennemis redoutables
qu’a le Crocodile , .& qu’on dit être continuellement
attentifs à le détruire. L ’un eft l’Hippopotame
ou Cheval marin, animal amphibie ,
q u i, félon les voyageurs , vit au fond du N il, d’où
il fort pour aller paître dans les prairies & même
fur les montagnes. Il en mange l’herbe , puis régagne
le l'éjour des eaux, où il eft toujours en
guerre avec le Crocodile.
• L ’autre ennemi du Crocodile , eft l’Ichneumon
que l’on a reconnu pour une Mangoufle. Certains
voyageurs affurent qu'il entre dans ,1a gueule du
Crocodile endormi, qu’il lui ronge les entrailles,
le fait périr au milieu des vives douleurs qu’il
lui caufe , & s’en nourrit enfuite à l’aife. D ’autres
difent qu’ils n’ont aucüne connoiflance de ce fait j
mais qu’on a fouvent remarqué que l’Ic'hneumon
fe jettoit fur les' oeufs que le Crocodile laiffoit.dans
le fable, & qu’il les détruifoit autant qu’il étoit
poflible. S’il eft vrai que l’Ichneunfon foit funefte
a la race des Crocodiles, il eft beaucoup plus vrai-
femblable que c’eft de la fécondé manière qui. vient
«l’être rapportée'. On vo it , aux Tuileries, l’Ich-
neumon & l’hippopotame repréfentés aux prife's
avec le Crocodile, fur les bas reliefs qui accompagnent
la ftatue du Nil.
Les Egyptiens & autres peuples voifins des lieux
habités par .les Crocodiles ont imaginé différens
pièges & divers genres d’attaque , pour fe défaire
de ces animaux. En Egypte., lotfque ceux qui
fe font chargés de leur faire la guerre, s’apper-
çoivent qu’un Crocodile a quitté le fleuve & s’eft
écarté dans les terres , ils accourent avec des hoyaux
& des branches d’arbres ; ils ereufent un foffé
profond , en fuivant les traces que l’animal a
laiffées de fon paffage, & ils couvrent ce folié
avec les branches d’arbres qu’ils ont apportées,
& fur.lefquelles ils répandent une couche de fable
pour cacher, leur piège. Ils cherchent enfuite le
Crocodile, & par le bruit qu’ils font & le fon aigu
de certains inftrumens à v e n t , ils mettent en fuite
l’animal , q u i, félon fa coutume , retourne au
fleuve par le même chemin ; mais bientôt il tombe
dans la fofle creufée fous fes pas , & les chaffeurs
l’affomment , ou l’ênvelbppent dans des filets,
puis le portent au Caire , où ils reçoivent la ré-
compenfe promife à ceux qui auront pris ou tué
un Crocodile.
D ’autres attachent une longue & forte corde ,
par une extrémité , à quelque gros arbre qui fe
trouve fur le rivage, ou à un poteau qu’ils y ont
enfoncé exprès. A l’autre extrémité de là corde j
eft un crochet de fe r , avec un Agneau ou un
Bélier qu’on y attache , pour fervir d’appât au
Crocodile, qui ne manque pas ' d’accourir vers le
'rivage aux cris que pouffent ces animaux. Mais
J’hameçon lui entre dans la gorge & s’enfonce dans
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fa chair * tandis qu’il s’efforce de dévorer fa proie ’
& J e s pêcheurs avertis par le bruit qu’il fait en
s’agittant pour fe débarraffer, lâchent la corde
jufqu’à ce que le Crocodile foit mort, après quoi
ils le retirent du fond de l’eau.
On prétend qu’il y a des hommes qui ont affez
de préfence d’efprit & de réfolution , pour aller
en nageant, fe gliffer fous un Crocodile , lui percer
avec un couteau de chaffe la peau du ventre qui
eft le feul endroit o ù . le fer puiffe pénétrer, &
qu’ils fe retirent après avoir bleffé l’animal à mort.
Jofeph Acofta rapporte qu’un Indien s’étant élancé
à l’ea.u, eut recours à ce genre d’attaque contre
un Crocodile, qui lui avoit enlevé- fon fils en bas
âge , & le tenoit entre fes dents ; & que l’animal
fe fentant bleffé mortellement retourna vers le
rivage , & y dépofa l’enfant à demi mort.
Les Sauvages de la Floride , pour fe défaire
des Crocodiles qui les incommodent continuellement
, bâtiffent fur le rivage une cabane percée
d’une multitude de fentes, à travers lefquelles
l’un d’eux , qui fait la fonâion de fentinelle, ob-
ferve s’il ne verra point un Crocodile s’avancer
vers le rivage pour y. chercher quelque proie. Dès
qu’il en a apperçu u n , il avertit les autres chaffeurs
, qui fe réunifient dix ou douze, & s’avancent
au-devant de l’animal, en portant un lonp-
arbre qu’ils ont coupé par' le pied. Et dès qu’ils
font à la portée du Crocodile qui marche contre
i eux la gueule béante, ils lui enfoncent dans le
gofier, avec beaucoup'd’agilité &. d’adreffe , le
bout le moins épais de l’arbre , de manière qu’il
y refte engagé , à caufe des faillies-& des inégalités
dont il èft tout hérifïé : ils fe fervent enfuite
de l’a rbre, comme d’une1 efpèce de le v ie r, pour
renverfer le Crocodile fur le dos, & lorfqu’ils Wbnt
mis dans cette pofition , ils lui donnent la mort en
lui ouvrant le ventre. -
( Nota. Extrait de différens Auteurs , qui font
cités dans le cours de l’article, & particulièrement
d’Aldrovande, de quadrup. digit. ovip. L . i ,
p. 677 6» fu iv . ).
Suivant le rapport de Catesby , quoique le plus
grand nombre des Crocodiles fe trouvent dans la
zone torride , il y en a aufli beaucoup dans le
continent, jufqu’à dix degrés au-delà , particulièrement
dans la Caroline fepteritrionale , vers le
trente-troifième degré de latitude, qui répond à-
peu-près aux parties de l’Afrique les plus -fepten-
trionales , où l’on trouve aufli de ces animaux. Ils
fréquentent non-feulement les rivières falées voi-
fines de la mer , mais aufli les courans d’eaux
douces qui font plus avancés dans les terres, ainft
que les lacs d’eaux falées & d’eaux douces. Ils fe
tiennent cachés fur les bords parmi les rofeaux,
pour furprendre le bétail & les autres animaux.
Lorfqu’ils les ont faifis, ils les tiient fous l’eau
afin de les tuer } pour les dévorer enfuite plus à
leur aife. Les hommes même qui ne fe tiennent
point en garde contre les rufes & l’avidité de ces
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redoutables ennemis font également expofés à devenir
leur proie. La couleur & la forme alôngée
du Crocodile femblent féconder fon naturel artificieux.
Il reffemblé fur terre à un morceau de
bois fale, ■ & lprfqu’il flotte fur l’eau, il paroît
comme un tronc d’arbrè. Cet afpe61, joint au
filence de cet animal rufé , trompe le poiffon ,les
oifeaux, les Tortues de mer , & c . ; & facilite au
Crocodile le moyen de s’en faifir & de les dévorer.
Mais malgré ces reffources que le Crocodile met
à profit pour furprendre fa proie , la Providence ,
fuivant la remarque du même Auteur, a reftteint
la voracité de cet animal deftru&eur , en lui re-
fiifant l'agilité & la facilité de fe mouvoir autrement
qu’en ligne droite. Aufli lui arrive - t - il
fouvent d’être privé de nourriture , & Catesby
préfume que c’eft pour cette raifon que les
Crocodiles avalent des pierres & d’autres fubf-
tances , dont l’effet eft d’étendre fes inteftins ,
& ;d’empêcher qu’ils ne fe contraâent lorfqu’fls
font vuides, & non pas d’aider leur digeftion ;
ce dont ils ne paroiffent pas avoir befoin. Car
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l’Auteur qui a ouvèrt plufieurs de ces animaux,
dit qu’il h’y a trouvé que des morceaux de bois
réfineux , & de charbon de fapin , dont quelques-
uns pefoient jufqu’à huit livres. Il ajoute que leur
furface s’étoit tellement ufée & etoit devenue fi
polie, qu’il fembloit être reftés plufieurs mois dans
le corps du Crocodile.
Catesby obierve encore qu’il y a beaucoup de
Crocodiles dans lé fud de la Caroline, mais qu’ils
y font de plus petite taille que ceux qui naiffent
plus près dé la ligne ; qu’ils attaquent rarement les
hommes & les beftiaux , mais qu’ils font fort avides
de Cochons. Il dit qu’à la Caroline les Crocodiles
'demeurent engourdis dans des cavernes & autres
cavités fur le bord des rivières , depuis environ
le mois d’oâobre jufqù’au mois de mars ; & que
lorfqu’ils en fortent au printemps, ils pouffent des
mugiffemens effroyables ; que les Indiens mangent
la partie poftérieure du ventre de ces animaux,
ainft que leur queue : que leur chair eft blanche &
délicate , mais qu’il n’a jamais pu en manger avec
plaifir , à caufe d’une forte odeur de parfum dont
elle eft pénétrée. ( C a t e s b . Carol. 2 } p. 6 3 .).
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