niers qui cultivent ¿es cent hectares habitent les faubourgs de Becquerel,
de Saint-Médard et de Saint-Martin. Comme il leur manque
le débouché d'une grande ville, ils portent leurs légumes sur les
marchés voisins, à Rollot, à Maignelay, à Saint-Just, à Breteuil, à
Moreuil. Autour de Laon, la culture maraîchère envahit les terrains
humides, surtout le faubourg d’Ardon ; dès le vu0 siècle, il est question
des laitues qu’on y récolte; au xvn°, il en sortait des montagnes
d artichauts ; aujourd’hui, ce sont des asperges, des artichauts, des
carottes, des oignons qu’on expédie très loin. Aux portes d’Arras, à
Achicourt, les jardins s’étendent sur les alluvions duCrinchon; de
temps immémorial, on voit les femmes d’Achicourt, montées sur des
ânes, venir à la ville avec leurs paniers de légumes : population
vigoureuse, acharnée au labeur, elle rappelle les hortillons ; la
légende1 rapporte qu’en 1793 les femmes d’Achicourt, opposées à la
Révolution, refusèrent leurs légumes à Arras. Comparables aux hortillonnages
d’Amiens, les « aires » de Beauvais2 couvrent des terrains
tourbeux dans la vallée du Thérain; jadis consacrés au lin et au
chanvre, ils sont devenus des légumiers à la fin du xvie siècle ; les
« airiers » formaient avec les vignerons, et les laboureurs un corps de
métier qui contribuait à l’élection des corps municipaux ; sur leurs
terres humides et fécondes, même succession ininterrompue de
récoltes, même travail opiniâtre qu’à Amiens. Ainsi, partout aux
approches des villes, chaque journée voit enlever quelque parcelle à
la tourbe et au marécage. A Montreuil-sur-Mer, dans la vallée de la
Canche, les marais se desséchent bribe par bribe ; les ménagers établissent
dans-le sol des drains en bois et en moellons de craie; et sur
ce sol desséché, au milieu des oseraies, entre les rigoles et les fossés,
les carrés de légumes s’insinuent peu à peu ; on peut les suivre
de Montreuil et de La Neuville jusqu’à Brimeux. Parfois on réserve
les terres de marais pour une culture unique ; dans la vallée de la
Sensée, àPalluel et Arleux, c’est l’ail qui envahit les jardins; on ne lui
épargne rien, ni les marnages pour corriger l’acidité des terres, ni
les fumures, ni le « rincent »'engrais vert retiré des marais, ni les tourteaux,
ni les nitrates ; de là, ces fructueuses récoltes qui s’écoulent
vers la Flandre ou vers Paris, et dans la contrée par la foire aux aulx
de Bapaume. D’immenses étendues de vallées échappent encore à
cette culture intensive ; la plupart des jardins, sont, en fait, des
annexes de la ville voisine; leur souvenir évoque à l’esprit la vision
lointaine des cathédrales qu’on aperçoit toujours à l’arrière-plan.
* Baudrillart, 277, (1881), p. 651-652.
I Graves, 545 (1855), p. 275-276. Cambry, 511, I, p. 30-32.
Mais ils sont, dans ce milieu sauvage et difficile, la marque originale
de l’homme, la conquête lente de son travail qui se consolide chaque
jour et s’étend.
Les prairies.
Les vallées contiennent les prairies naturelles, si rares sur les
plateaux. Au milieu des campagnes grises et sans verdure, elles sont,
à proprement parler, le pays de l’humidité et de l’herbe, que le
paysan distingue dans son langage ; sur lés bords de la Bresle, il
établit la différence de « la Plaine » et de « la Vallée » ; partout les
noms de lieux discernent les plateaux, (la Sécheresse, Hurtebise, la
Folie) et les lieux bas, (le Marais, terme qui revient sans cesse dans
les lieux dits, la Pâture, la Pâturelle) ; au pied des champs cultivés,
les vallées offrent la précieuse ressource des pâturages.
Il existe entre ces vallées des différences dénaturé qui établissent
entre les pâturages des différences de valeur. Les vallées marécageuses
donnent de mauvaises herbes ; les prairies de la Somme se
peuplent de plantes aquatiques qui fournissent un foin grossier et mou :
Cypéracées, Joncées, Renonculacées et certaines Graminées comme
les Phragmites ; il en est de même pour la plus grande partie des
vallées de l’Authie, de la Canche, de la Sensée, de la Scarpe. P a rfois
leur sol poreux et élastique tremble et s’enfonce sous les pas ; il
rend pénible et parfois dangereux le séjour des bestiaux; c’était,
avant le dessèchement, l’état de la vallée de l’Authie, entre Dam-
pierre et Tigny, surtout dans les parties basses qu’on appelait le
Marais Badré, c’est-à-dire La Bouillie. On savait toute l’infériorité
de ces terres inondées pour la nourriture des bêtes et l’on calculait
qu’une vache de haut pays donnait trois fois plus de beurre
qu’une vache de marais. Pour les transformer, il ne suffit pas d’améliorer
par le drainage leur nature physique, mais il faut aussi par
des amendements modifier le sol trop riche en acides organiques
et faciliter la nitrification ; par endroits, l’emploi de la craie a bien
réussi. Mais presque partout ces fonds de vallées forment encore de
médiocres prairies. Leur valeur vient de leur rareté même; les villages
y conservent jalousement des communaux surlesquels pâturent
en troupeau toutes les bêtes des habitants; pour Blangy-Tronville,
village de 290 habitants, dans la vallée de la Somme entre Amiens et
Corbie, on compte 83 chevaux, 6 ânes, 198 vaches, 1.125 moutons.
Il arrive trop souvent que les prairies piétinées deviennent impraticables
à certains moments de l’année, que le souci de cette propriété