agrandissent sans cesse ; lorsque ce travail de sape est poussé assez
loin pour qu’une partie de la falaise manque d’appui, elle se détache
du massif crayeux suivant une fissure et se précipite sur la plage ; et
ainsi se renouvelle sans trêve la paroi verticale de la falaise, parallèlement
à elle-même. Lorsque le front de la falaise ne tombe pas
•en entier, ce sont de petits paquets qui s’en vont, suivant les interjections
de plusieurs diaclases ; les vides qu’ils laissent dans la
falaise, découpés selon des faces régulières et géométriques, rappellent
à distance les redans des fortifications1 (pl. IX et X).
Les rideaux.
Certaines formes de terrain, appelées « rideaux » paraissent
inséparables du paysage de craie : ce sont des ressauts brusques
dont les talus escarpés interrompent les pentes régulières des versants
et leur donnent parfois, quand ils sont nombreux, l’aspect de
gigantesques escaliers (pl. IV). Leur hauteur ordinaire varie de 1 à
6 mètres, mais beaucoup dépassent 10 mètres et quelques-uns.
atteignent 20 mètres. On a beaucoup discuté sur leur origine. On a
invoqué des différences de dureté dans la roche : mais la craie n’en
présente jamais d’assez fortes pour provoquer la mise en saillie d’un
lit plus résistant. On ne saurait davantage faire intervenir les bancs
de silex; en longeant les falaises du Tréport au bourg d’Ault, on peut
observer la tranche de nombreux rideaux, mais on ne remarque pas
de relations entre leur emplacement et les lits de silex; au reste, on
trouve autant de rideaux dans les pays de craie sans silex que dans
les pays de craie à silex. Certains au teu rs2 considèrent les rideaux
comme des terrasses diluviales ; mais, d’abord, ils ne correspondent
pas toujours aux lignes de niveau; ils peuvent leur être perpendiculaires
ou obliques; ensuite, ils ne se trouvent pas au même niveau
de chaque côté de la vallée. Restent deux hypothèses. L’origine des
rideaux doit être attribuée, à la culture selon les u n s 3, aux diaclases
selon les au tre s4. Or, à notre avis, il est impossible d’expliquer tous
les rideaux par la culture ; d’autre part, il est inutile de les expliquer
tous par les diaclases ; en réalité, les deux causes ont contribué
à former des rideaux.
Beaucoup de rideaux doivent leur existence à la culture. On peut
remarquer qu’ils sont parallèles à la ligne de culture et perpendicu-
4 Daubrée, 32, p. 141.
* Buteux, 22, p. 90.
3 De Lapparent, 109, p. 4-7. Richer, 139.
4 Lasne, 107 et 108. De Mercey, 124, p. 873.
laires à la ligne de plus grande pente. La commodité du labour oblige
le cultivateur à rejeter la terre dans le sens de la pente ; il est inévitable
qu’à la limite inférieure du champ se constitue un bourrelet qui
est l’amorce d’un rideau; placé à la limite de deux champs, ce rideau
s’accroît par en haut de tout ce que lui apportent la charrue et le
ruissellement, par en bas de tout ce que ces mêmes actions lui enlèvent;
au sommet, le relief gagne par apport; à la base, par creusement.
On peut donc voir naître des rideaux chaque fois qu’une pièce
de terre cultivée sur une pente se trouve partagée entre deux cultivateurs;
au contraire, on peut le voir s’éteindre progressivement, se
moutonner, disparaître enfin lorsque deux champs autrefois séparés
se trouvent réunis en un seul; la charrue l’entame et le nivelle peu
à peu. On a pu même voir des rideaux se déplacer; le cultivateui
d’en haut ne se contente pas toujours de maintenir sur son champ
la terre arable et de l’arrêter dans le mouvement invincible qui l’entraînerait
vers le bas; il ne cherche pas seulement à lui conserver le
fumier et les engrais qu’il y a semés et à protéger contre le ruissellement
les matières fertilisantes que les eaux d’orage porteraient
chez le voisin; il tente parfois de gagner du terrain et d’empiéter su r
le bien d’autrui par la descente insensible du rideau; de là, des
procès continuels entre les propriétaires et l’obligation imposée par
Certaines coutumes de laisser au sommet des rideaux une bande
inculte large de cinquante centimètres. L’origine culturale d e c e s
ressauts de pente, qui n’est d’ailleurs pas spéciale aux pays de craie,
trouve une confirmation dans plusieurs observations de détail. D abord
très souvent, la coupe transversale d’un rideau montre qu il se compose
exclusivement des mêmes matières que le sol des champs qu il
sépare; on en rencontre peu en sable, beaucoup au contraire en graviers,
en silex mêlés à de l’argile, en débris de craie; cette constitution
révèle nettement l’influence unie des eaux ruisselantes et de
la charrue. Ensuite, en maints endroits, quelle que soit la pente du
sol, les rideaux ne pénètrent pas dans les bois adjacents. Il n ’est
donc pas douteux qu’un grand nombre de rideaux aient été créés-
p a rla culture. A cet égard, les pentes de craie ressemblent aux pentes
de beaucoup d’autres terrains , avec cette différence que la craie, roche
tendre et facile à déliter, peut fournir, mieux que des roches plus-
dures, des sols meubles même sur les pentes où elle affleure à vif. En-
somme, les rideaux nous donnent un exemple certain de l’action
que l’homme peut à la longue exercer sur la te rre1.
4 Dans la Haute-Normandie, près de Louviers, on appelle ces ressauts de terrain des-
« douves ».