vaient 6.000 moutons en 1742 n’en avaient plus que 300 en 1763 \
Mais des molières rencloses et des marais desséchés on tira des
champs féconds et de plantureuses prairies. Transformation de l’élevage,
amélioration des cultures, tel fut le bénéfice des travaux du
x v i i i8 siecle ; mais rien n a changé dans la nature même du pays
dont 1 économie rurale présente encore l’heureuse combinaison de
deux tempéraments : le labour et la pâture.
L élevage possède ses territoires priviligiés. Les prairies se
trouvent d abord dans les terrains de renclôtures, ensuite dans l’ancien
marais. Au pied de la falaise morte qui limite à l’Est les Bas-
Champs, on peut suivre du Sud au Nord par Brutelles, Lanchères,
Noyelles, Ponthoile, Rue, Quend, Yillers, Berck, Yerton, Airon, Mer-
limont, Cucq une large bande de verdure où paissent des bestiaux et
des chevaux. Dans ces dépressions humides, on entretient aujour-
d hui des pâtures bien drainées et bien fumées ; tantôt on les entoure
d’un fossé dont la terre rejetée au dehors est maintenue par des haies
de saules, d’aulnes et de peupliers, comme à Cucq ; tantôt on les
enclôt de fils et de ronces métalliques comme à Saint-Quentin ; un
tronc d arbre couché au travers de l’entrée, sans être équarri, sert
de barrière. Presque partout les pommiers manquent à cause des
vents de mer; on a le sentiment d’être éloigné de la Normandie et
plus proche déjà d e là Flandre. Sur Quend, il y a 1.000 hectares de
ces prairies. Dans le Marais, beaucoup de pâtures sont communales.
On y laisse les bêtes de Mai à Décembre, moyennant une redevance.
Le nombre des bestiaux s’accroît à mesure que les communications
mieux assurées en facilitent la vente. Jadis les fromages du Mar-
quenterre avaient leur réputation : on avait coutume d’en présenter
aux rois et aux grands officiers dans les entrées solennelles : le
27 septembre 1463, un fromage de « la grant fourme » fut offert à
Louis XI, lors de sa visite à Abbeville 2. Aujourd’hui l’élevage s’intéresse
à la production de la viande bien plus qu’à la production du
lait. Quelques grandes fermes s’occupent d’engraisser les boeufs et
les vaches; elles achètent les boeufs au Mans vers le mois d’Avril et
les vendent pour la boucherie à la fin de la saison. Mais le pays doit
sa célébrité à ses chevaux. Au milieu du xixe siècle, les chemins de
fer menacèrent de tuer le cheval de trait; mais on se mit à l’élevage de
chevaux plus fins. Partout où l’on passe, on ne remarque guère que
des juments poulinières, de race boulonnaise. Les poulains sont vendus
soit après le sevrage, soit à l’âge de dix-huit mois aux cultivateurs
* Arch. Nat. R1 103 (705) ; R* 104 ; R* 73 (631) ; Prarond, 380, V, p. 235-239.
! Prarond, 580, 1, p. LXXXII et sq.
du Vimeu. Leurs mères restent dans le pays et ce sont elles qui travaillent
aux champs. Les marchés aux chevaux de Nampont,duBoisle
et de Rue restent toujours de gros centres d’affaires où descendent les
cultivateurs des plateaux voisins : au contact de deux régions agricoles
différentes, ce sont les points de rencontre où se nouent les échanges.
La vue des prairies que traverse le chemin de fer, d’Abbeville à
Étaples, laisse au voyageur qui passe l ’impression d’un grand pays
d’élevage. En réalité, la majorité des habitants se livre à la culture.
En dehors du Marais et des prés salés où s’isolent encore quelques
grosses fermes herbagères, le paysan des Bas-Champs est un laboureur.
Son exploitation varie de 8 à 13 hectares. Autour de sa ferme,
des fossés bordés de saules enclosent une pâture pour quatre ou
cinq vaches; quelques pommiers y fleurissent à l’abri des arbres.
Mais, à peine sorti des villages, on voit s’étendre très loin, au milieu
d’un lacis de rigoles, de tout petits champs de blé, d’avoine, de
fourrages, de betteraves. La terre des Bas-Champs, de culture
pénible, a la fécondité des argiles d’estuaires et des limons lentement
déposés dans les eaux. Quand il est bien égoutté, il n’est point de
meilleur sol que celui de ces polders picards. Dans la renclôture
Flandrin de Saint-Yalery, on récolta longtemps du colza, du lin, des
betteraves sans engrais. A la fin du x v i i i6 siècle, une partie des terrains
renclos de la ferme de Châteauneuf, ensemencée en colza, produisit
60.000 francs; l’année suivante, une contestation empêcha que ces
champs ne fussent labourés, mais la graine de colza qui était tombée
lors de la dernière récolte, ayant germé et poussé, rapporta
33.000 francs; la troisième année donna encore 23.000 francs sans culture.
Sur cette couche de terre au-dessous de laquelle les labours trop
profonds rencontrent le sable, les récoltes sont le plus souvent privilégiées.
Des villages du Yimeu, de Saint-Blimont, de Tilloy, d’Arrest,
on vient dans les Bas-Champs acheter de la semence de blé ou bien
des fourrages, sainfoin et luzerne. La betterave occupe de grandes
étendues ; les sucreries s’échelonnent à la lisière orientale, le long
des voies ferrées, à Rang-du-Fliers-Yerton, à Rue, à Abbeville, à
Beauchamps. Mais toutes ces cultures, par leurs procédés comme par
l’étendue de leurs exploitations, semblent se modeler sur le morcellement
physique de ce territoire coupé de rigoles, de fossés et
de canaux ; c’est un peuple de tout petits cultivateurs qui exploite
la terre. Partout les grosses exploitations se démembrent. Naguère
sur Morlay on comptait cinq grandes fermes qui maintenant sont
divisées. Près de Cayeux, la ferme Yatel qui réunissait 30 hectares
à la sole n’en a plus maintenant que 30 en tout, avec 6 chevaux et 5