des fabricants d’Amiens l. Bientôt le mouvement entraînait toutes
les campagnes et l’on pouvait observer partout en plein essor ce type
curieux de vie rurale mêlé d’agriculture et d’industrie. Arthur Young
ne vit pas sans surprise cet éparpillement d’ateliers à travers les
champs ; c’était pour lui un spectacle inattendu dont il n’a pas
étudié les raisons profondes. En fait, on rencontrait des ateliers
ruraux depuis les portes de Beauvais et de Clermont jusqu’à Abbe-
ville, Arras, Cambrai, Avesnes ; c’était un aspect commun à toutes
ces campagnes. Le travail n’était pas le même partout; il s’était
différencié suivant les régions ; de cette ancienne différenciation
dérive en partie la répartition actuelle des industries rurales.
Les tisseurs d’étoffes de laine entre Beauvais et Amiens.
De tous les groupements d’industries rurales, le plus étendu était
formé au x v iii® siècle par les tisseurs de laine, saiteurs et sergers
disséminés à travers les campagnes entré Amiens et BeaüvaisL
L’intérêt qui s’attache à cette ancienne industrie, dont l’existence se
prolongea jusqu’au milieu du xixe siècle, n’est pas seulement rétrospectif;
il dure encore ; les métiers villageois avaient fixé au sol toute
une population d’ouvriers agricoles et de petits cultivateurs qui dut
se déplacer après leur disparition ; l’étude des anciennes industries
rurales est à la base de l’étude des mouvements de population dans
cette partie de la France.
La fabrication des serges se développa d’autant plus vite dans
ces campagnes qu’elle employait les laines du pays ou des pays voisins
comme la Normandie, la Brie et le Soissonnais. Toute la main-
d’oeuvre venait aussi des habitants. Les femmes et les enfants filaient,
peignaient la laine, confectionnaient les chaînes; l’hiver venu,
l’homme tissait ; chaque semaine, une ou deux fois, il se rendait au
marché voisin pour vendre ses étoffes ; de Crèvecoeur, d’Aumale, de
Grandvillers et des autres bourgs, elles s’acheminaient vers Amiens
ou vers Beauvais. A u x u u “ siècle, on distinguait plusieurs centres de
fabrication : Aumale, Blicourt, Hanvoile, Tricot ; c’étaient aussi les
noms des étoffes; il faut y ajouter les belinges ou bellinges qui se
tissaient au Nord d’Aumale, autour de Beaucamps-le-Vieux.
1 Pour la diffusion de l’industrie dans les campagnes au x v n r siècle, voyez Arcli.
Somme, G. 245,233, 273, 286.
* Arch. Somme E, suppl. 170, 199, 210, 221, 223, 242, 256, 262, 27a, 551, 619, 667.
On voit, par les noms de villages où l’on mentionne des sergers, que la sayetterie au
xvii» siècle allait ju sq u ’aux portes d’Amiens, Saleux par exemple, Leuilly, Monsures,
Oresmaux, etc...
Cette fabrication paraît avoir d’abord pris pied autour d Aumale
et de Crèvecoeur, sur les sols froids et difficiles d’argile à silex ;
dé là, à partir de la forêt d’Eu et du Bray qui formèrent une barrière
vers l’Ouest, elle s’avança jusqu’à Saint-Just, Maignelay et
Amiens. On tissait des « Aumales' » autour d’Aumale, de For-
merie, de Grandvillers. Le travail fut réglementé et réorganisé par
lettres patentes de 1666; plus tard en 1698, pour la vérification des
étoffes, on répartit les villages entre certains bureaux (Crèvecoeur,
Hardivillers, Molliens, Grandvillers, Lignières, etc.). En 1732, dans
la seule inspection d’Aumale, 75 villages possédaient 1.270 métiers
battants ; on en rencontrait vers le Nord au delà de Conty et de Poix
jusqu’à Fluy, Leuilly et Essertaux, jusqu’aux portes d’Amiens2. Les
« Blicourt » occupaient surtout les villages des environs de Crève-
coeur, de Marseille, de Breteuil, de Froissy, mais elles avaient beaucoup
souffert d e là Révocation de l’Édit de Nantes. Les « Hanvoile »
se tissaient autour de Songeons, et, en particulier à Wambez,
Gerberoy, Glatigny, Hanvoile et Crillon. A l’Est de cette région, vint
s’établir en 1670, à Tricot, la manufacture des serges fortes croisées
pour l’habillement des troupes ; elle donnait encore au xvme siècle du
travail à de nombreux ouvriers. « La paroisse de Tricot renferme
une forte population ; quoique son sol et celui qui l’environne puisse
être généralement regardé comme excellent, il s’y trouve des bras,
au delà des besoins qu’exige l’agriculture ; or, ces bras, il importe de
les occuper3. » De Tricot, les serges allaient aux moulins de Ronque-
rolles et de Mouy qui les foulaient, aux teinturiers ‘de Beauvais qui
leur donnaient le rouge garance, aux blanchisseuses qui les lavaient
et auVTiombreuses femmes qui en enlevaient les noeuds. Si nous nous
tournons vers les confins du Yimeu, nous y trouvons installée, autour
de Beaucamps-le-Vieux et de La Neuville-Coppegueule, la fabrication
des bellinges et des tiretaines, chaîne en fil, trame en laine grossière
*.
Mais ce grand domaine des étoffes de laine s’est disloqué. Les
« Tricot » n ’ont pas pu lutter contre les draps de Romorantin et de
Châteauroux ni contre les étoffes de coton. De même, les « serges »
durent reculer peu à peu devant des étoffes moins grossières ; déjà
1 Les Aumales étaient dès étoffes de laine pure, employées surtout pour les meubles
et les doublures.
2 Arch. Somme, G. 173, 171. On trouve dans ces documents l’indication des villages
qui tissent le s’ôtoffes avec le nombre des artisans occupés. Cf. Mémoire de Bignon, p. 10.
3 Arch. Somme, 388. Villages : Tricot, Courcelles, Méry, Vaux et Frétoy, Assainvil-
lers, Orvillers, Coivrel, Ilalluin, Biermont, Fleuron.
3 Mémoire de Bignon, p. 10.