cela, Fiers fut rattaché à Montdidier dont il était plus éloigné que
d’Amiens1. La division départementale ignore les affinités économiques
et ne sait pas s’v accommoder.
L’idéal consiste, pour elle, à établir des circonscriptions à peu
près égales de 324 lieues qarrées, 18 sur 18 ; il faut que désormais on
puisse de tous les points d’un département arriver au chef-lieu en
une journée de voyage. Aussi, pour parfaire une circonscription, on
arrondit, on ajoute, on retranche: les nouveaux acquéreurs se réjouissent,
les amputés protestent. Il arrive souvent que la nouvelle
attribution choque des intérêts matériels et même ces traditions provinciales
que la Constituante voudrait pourtant ménager. Nous savons
déjà que l’arrondissement de Mon treuil est à cheval sur la Canche,
moitié en Picardie, moitié en Boulonnais. De même, pour compléter
l’arrondissement de Cambrai, on ajoute au Cambrésis une partie du
Hainaut (Solesmes). Quoique parle canal de la Somme Saint-Quentin
entretienne des relations avec tout le bassin de la Somme, on l’en
détache pour le joindre à l’Aisne h Parfois des obstacles physiques
n’arrêtent pas les opérateurs; la commune de Prémont-(canton de
Bohain) qui avait toujours appartenu au Cambrésis se plaint d’être
transférée au district de Saint-Quentin quoique des bois l’en séparent
s. De même, le département de la Somme réclame en vain le long
des bois de Bouveresse les communes de Solente, d’Ognolles, de Liber-
mont boidées vers l ’Oise par des bois épais aux affreux chemins4.-
Parmi les considérations physiques, l’une des plus pressantes surtout
a 1 epoque devait être la qualité des routes. Or, elle l ’emporta rarement.
A coup sûr, c’est dans un pays comme la Tbiérache qu’elle
aurait dû prévaloir. De l’aveu de tous, les chemins de la Tbiérache à
lar lin du xvme siècle étaient impraticables la moitié de l’année;
Vervins n ’était abordable que par le Sud ; en y établissant un district,
on isolait toutes les communes situées au Nord de l’Oise, car les
inondations de cette rivière interrompent les communications pendant
trois mois. Guise et La Fère eurent beau protester : Vervins triompha.
En réalité, on s’efforce de maintenir dans leurs grandes lignes
les limites des provinces. Les villes et les campagnes craignent surtout
d’être enlevées à leur vieille province. Elles trouvent en Mirabeau
un interprete éloquent; il veut qu’on assoie la division nouvelle
sur des rapports déjà connus; selon lui, former un département par
' Arch. Nat., Div bis 17 (290, 17).
1 547- Arch. Somme. Inventaire, IV, p. 134-136.
3 Arch. Nat., Div bis 81, 2.
* Arch. Nat., Div bis 1,2.
le démembrement de plusieurs provinces serait un grave inconvénient
parce qu’on trancherait tous les liens qui resserrent depuis
longtemps les moeurs,, les habitudes, les coutumes, les productions,
le langage, et parce que, dans ce démembrement universel, chacun
croirait perdre une partie de son existence h La Picardie se félicite de
conserver l’ensemble de ses limites provinciales*■. L’Artois répugne
à se laisser disloquer et veut retenir les pays de Langle et de l’Alleu3.
Les députés de Flandre proposent de donner comme limite au Nord
et au Pas-de-Calais le canal de navigation qui joint Douai à Lille;
les députés d’Artois protestent, car l’Artois a des terres sur les deux
rives. Enfin Saint-Quentin s’indigne à la pensée qu’on puisse unir
le Vermandois et le Cambrésis 4.
Il n est pas étonnant qu’avant tout travail de circonscription on
ait admis comme principe que chaque province aurait son département
et que le gros de chaque province ne serait pas démembré. La
Flandre eut le Nord avec Lille. Les hommes de bon sens trouvaient
ridicule la forme de ce département, langue de terre longue de
50 lieues, de Dunkerque jusqu’au delà d’Avesnes où tant de régions
dissemblables se trouvent réunies sans même contenir tout le pays
flamingant5. Le Cambrésis lui-même fut préservé du démembrement
: pour l’arrondir, on lui donna un morceau de Hainaut, et Bou-
chain dut renoncer à devenir un chef-lieu. L’Artois obtint aussi son
département, le Pas-de-Calais avec Arras; on l’enrichit du Boulonnais,
de l’Ardrésis, du Calaisis ; mais ces territoires, pris au gouvernement
de Picardie, n’étaient même pas revendiqués par Amiens
dont ils étaient vraiment trop éloignés (30 à 36 lieues)6. La Picardie
eut son département, la Somme avec Amiens. L’Oise avec Beauvais
succéda au Beauvaisis. Seul, le département de l’Aisne fut doté de
démembrements et d’annexes.
En respectant les anciennes limites provinciales, la division en
départements se reliait directement au passé ; elle le consacrait au
lieu de le détruire. Sous ces limites nouvelles, nous retrouvons
l’emplacement de limites traditionnelles que le temps n’avait pas effacées.
Pour tout oeil attentif, nos limites départementales restituent
avec une étonnante fidélité les limites des diocèses, des pagi et des
' Archives parlementaires, 378, p. 749 et 660.
s Arch. Somme, Inventaire, IV, p. 134-136.
3 Arch. Nat., Div bis 14 (254, 29).
/ Arch. Nat.,- Div bis 3 (146, 13).
5 Arch. Nat., Div iis 12 (245, 30).
6 Arch. Somme, Inventaire, 317, IV, p. 134-136.