même action ; le comblement de la haute baie en amont de l’esta-
cade n ’est plus qu’une affaire de temps.
On peut suivre dans l’histoire les phases du retrait de la mer.
Chaque jour a vu diminuer le tirant d’eau dans les chenaux de la
Somme. Saint-Valéry, jadis 1 escale de Guillaume le Conquérant,
s’inquiétait dès le xvie siècle des ensablements de la Somme ; en 1882,
pour éviter l’embouchure obstruée, on songe à utiliser le Hâble
d’Ault. Au commencement du xvu° siècle, le chevalier de Cler ville
déclare que les navires, à cause des bancs de sable, ne peuvent venir
à Saint-Valery qu en trois marées, et sont obligés dans cet intervalle
de mouiller au Hourdel ou bien au Crotoy ; même en observant ces
précautions, s’ils sont trop chargés, ils courent le risque d’échouer ;
car entre le Crotoy et Saint-Valery, ils passent un haut-fonds dont
la profondeur n’est que de 3m,78 en vives eaux et de l m,18 en
mortes eaux. En Février 1764, trente vaisseaux chargés de grains
restèrent sur la grève de Saint-Valery, sans pouvoir s’en détacher :
deux seulement parvinrent à démarrer parce qu'ils avaient un fond
plat et un faible chargement. Les autres durent attendre une forte
marée et un vent favorable. La mer ne conservait son plein dans la
baie que 5 ou 10 minutes. En amont de Saint-Valery, dans le haut
bout de la baie, la navigation .était aussi précaire. Le nombre des
gues avait contraint les mariniers à construire des bâtiments spéciaux,
appelés gribannes. Ces bateaux à fond plat, tirant trois pieds
et demi .d’eau prenaient les marchandises, à bord des navires à
Saint-Valery et les transportaient à Abbeville ; mais parfois elles
étaient incapables de passer, comme en 1670, à la suite d’un coup de
flot qui ensabla complètement le canal marchand d’Abbeville1. La
Canche n ’était pas en meilleur état; à la fin du xvne siècle, l'intendant
Bignon2 constate déjà que les bateaux d’Ê tapies, arrêtés par
les bancs de sable, doivent attendre à Dieppe les hautes marées. Le
recul de là mer est atteste par bien d’autres témoignages. On ne peut
guere se fonder sur la disparition des salines dont l’emplacement
reste vague3; mais on peut trouver des documents certains dans les
annales du commerce maritime.
En 694, on naviguait à la voile sur la Canche1 jusqu’à Montreuil.
' Sur l’état de la Somme, voyez Puyraimont 267 ; Lciîls, 357, p. 160, 20b, 234 ■ Estan-
celin, 248 et 249 passim, Arch. Nat. R1 103-704.
5 Mémoire sur la généralité de Picardie.
3 Sur les salines, voyez Beauvillé, 477, I, p. 84 ; Prarond. 580, II, p. 35 : Girard, 43
p. 49-51. -
ia *-‘anc'le> voyez Lefils 558, p. 190 et 201. Mémorial historique du Pas-de-Calais,
II, p. Ia4. ■
Don Grenier cite même un texte d’après lequel la marée parvenait à
Marconnelle, près d’Iiesdin. Un acte de 1340 fait mention du péage
acquitté,, par les navires remontant à Montreuil, au tenancier du bac
d’Attin. Après Montreuil, c’est Étaples que le commerce a déserté.
Naguère encore on y débarquait des bois et des vins; nous avons pu
voir, sur une photographie de 1860, un navire mouillé en amont du
pont actuel du chemin de fer. Les bateaux de pêche eux-mêmes
n’atteignent plus que péniblement le port d’Ëtaples; il y a une
dizaine d’années, beaucoup arrivaient encore à quai à toutes les
marées, maintenant la majorité s’arrête en aval, « en bas » comme
disent les matelots ; le voyage ne s’achève qu’aux fortes marées ; en
temps ordinaire, ce sont des canots qui apportent le poisson; beaucoup
vont même le vendre à Boulogne. L’Authie fut aussi en un
temps visitée plus profondément par la marée .que l ’on sentait
jusqu’à Dominois. Le hameau du Pas-d’Authie se trouvait au
xiv siècle beaucoup plus près du commencement de l’estuaire que
les atterrissements ont refoulé vers l’Ouest; au xmG siècle, il est
même parlé des droits perçus sur les navires qui passaient par
Waben. Sur la Maye, Rue connut aussi le commerce maritime,
Guillaume III, comte de Ponthieu, se réservait un droit sur chaque
navire qui y abordait; des jugements de 1279 sur des bateaux
pêcheurs montrent que la .ville communiquait alors avec la mer.
Mais déjà les difficultés d’accès étaient telles que les habitants songeaient
à dérivet l’Authie dans leur rivière (1277) h Mêmes vicissitudes
dans le lit de la Somme. Avant la canalisation de la Basse-
Somme, les marées atteignaient Abbeville. Toute la vallée en aval
de cette ville était sujette à leurs incursions. Pendant le flux, la
vallée de 1 Amboise se couvrait d’eau ;- on dut la protéger par des
chaussées entre Ribeauville et Estreboeuf, entre le Mont-Blanc et
Neuville. Dans une bulle de Clément YII (1226), il est question, à
propos des dîmes dues à l’abbaye de Saint-’Valéry, des fréquentes
inondations de la mer sur le territoire de Cambron2. Le flot se propageait
en aval d’Abbeville ; il remontait dans la vallée du Scardon
sur laquelle, d’après les archives de Saint-Riquier, les hautes
marées obligèrent de construire un pont. A la fin du x v i i i 6 siècle, on
le sentait à Pont-Remy ; mais il n’est pas prouvé, comme certains
le prétendent, qu’il ait atteint Hangest, Bouchon et même
Sur lAuthie et la Maye, voyez Prarond, 580. I, p . XIII et II, u 90- J ossp T ’»h
f W a PPfflP des baies de Somme et d’Authie. Bull. Soc. L. Nord’ III p ’ 320-
I f i M i 474 j fiLouanf e’ 5fi4’ l1’ P- 383; Lefils, 560, p. ¿ 3 9 - 4 B u teu r V
p. 109-111, Thierry, 588, p. 654; Cartulaire <Ju Ponthieu, p. 270 et 275.
Beauvillé, 477, II, p, 44 ; Prarond, 580, I, p. 112.