aussi, dans les fermes les plus petites, il arrive que la cour suffit à
peine au fumier et que, pour entrer dans la maison en venant de la
rue, on est obligé de le traverser. A Bus, par exemple, la plus grande
cour mesure 30 mètres sur 20 ; à Remy, elles ont en moyenne
la mètres sur 10. La ferme picarde constitue donc un ensemble
compact où la place est mesurée et où l’on s’ingénie à enfermer dans
le plus petit espace possible tout ce qui n’est pas aux champs. Cette
étroitesse de dimensions résulte des proportions mêmes que l’exploitation
possédait à l’époque où le type fut adopté ; aujourd’hui elle
devient parfois une gêne, à mesure que s’accroissent les produits du
sol; aussi voit-on beaucoup de meules et de silos dans les champs ;
certains villages des environs de Cambrai, de Douai et d’Arras
s’entourent d’un troupeau de meules dont la multitude dépasse de
beaucoup le nombre des maisons.
Des nécessités physiques ont aussi contraint les habitants à
restreindre l’étendue de leur maison. Le village forme une agglomération
serrée où la terre très disputée coûte cher. Le sol sur lequel
on bâtit représente à lui seul une ressource ; il faut l’économiser et
s’y tasser; cette considération est d’autant plus puissante que le
paysan est en général le propriétaire de sa maison, du sol sur lequel
elle est construite, du jardin, en un mot de son « manoir » ; il a
intérêt à restreindre cette étendue improductive pour agrandir ses
champs. Aussi tout se tient et se touche dans la ferme picarde ; tout
y brûle lorsqu’un incendie éclate.
Pour la même raison, on comprend que, dans cette ferme où la
sécurité et l’hygiène se subordonnent si entièrement aux nécessités
de l’exploitation, on ne se soit p.as imposé plus de sacrifices pour la
commodité des habitants; un simple rez-de-chaussée; une pièce
principale, appelée la maison, sert à tous les usages, sauf de chambre
à coucher ; une, deux ou trois chambres à coucher. Ce rez-de-
chaussée lui-même n’appartient pas entièrement à la famille qui
l’habite; surtout dans les maisons les plus anciennes qui présentent
le type pur, il possède une porte sur la cour et une porte sur le
jardin; il sert donc de passage aux gens qui vont de la cour dans le
jardin et aux bêtes qu’on mène de l’étable dans la pâture ; il renferme
aussi la trappe par où l’on descend à la cave et à la laiterie, et l’escalier
qui conduit au grenier à grains. Rien dans cette maison de paysan
n’est donné au bien-être, au superflu ; tout s ’y dispose pour le travail
agricole ; la maison elle-même devient un outil, un instrument de
travail.
Les matériaux de la maison.
Si la disposition est uniforme, on voit l’aspect varier, selon les
lieux et selon l’époque de la construction, avec la nature des matériaux.
Sur la plus grande étendue de son domaine, la ferme picarde
est une chaumière en bois et entorchis; mais lorsque la composition
locale du sol le permet, on la construit « en dur » : craie dans le Nord
de l’Artois (pl. XIII), calcaire grossier près de Clermontetde Noyon ;
en outre, depuis que la houille pénètre partout, on emploie les briques
pour les bâtiments et les pannes pour les toitures. De cette variété
de matériaux résulte pour les villages et même pour les maisons
dont les bâtiments furent juxtaposés et réparés au cours des temps,
le mélange parfois le plus hétéroclite de parties vieilles et de parties
réqentes, de murs en terre déjetés par la décrépitude et de parois en
briques aux couleurs éclatantes.
Avant l’époque des chemins de fer et dans cette contrée dépourvue
de voies navigables, on dut se contenter, pour construire, des matériaux
du pays. Or, la craie du sous-sol donne rarement des pierres
assez dures pour la bâtisse : dans ses parties superficielles, elle se
fendille et se partage en mille morceaux inutilisables, de sorte que,
pour l’obtenir en moellons assez gros, il faut l ’exploiter à une grande
profondeur; l’extraction est déjà par elle-même fort coûteuse; une
fois extraite à grands frais, la craie ne résiste pas aux gelées et tombe
en fragments; seules certaines variétés, que nous avons étudiées
déjà, durcissent à l’air et peuvent devenir des pierres d’appareil. Le
trait commun à tous ces plateaux de craie est donc l’absence presque
complète de matériaux durs et peu coûteux. La solution la plus
simple consiste à prendre de la terre sur la place même où l’on
construit; comme cette terre est un limon gras et argileux, on la
malaxe, on la mélange d’un peu de paille hachée et on en fait cette
espèce de mortier appelé torchis ou pisé. Pendant longtemps c’est en
torchis qu’on bâtit les murs, les cloisons, les clôtures des chaumières.
Pour donner une, ossature à ces masses terreuses, on se sert de bois;
quatre traverses souvent tortues et mal équarries reposent sur quatre
montants solides : voilà le cadre. Entre les traverses et les montants
fondamentaux, on établit d’autres traverses et d’autres montants
intérieurs qui permettent de poser des lattes en travers; on obtient
ainsi comme une énorme boîte à mouches, à minces barreaux de bois
dont on remplit les interstices avec du torchis. Ce mode de construction
donne tout son caractère à l’architecture des campagnes picardes.