qui éclairent les caves de tisseurs et l’on remet en mouvement le
métier dans l’atelier humide et obscur (pl. XI). Ceux qui ne possèdent
pas de métier à tisser cherchent de tous côtés de quoi s’occuper
pendant l’hiver ; les uns vont travailler aux usines de Denain et de
Lourches ; d’autres, àÊcourt Saint-Quentin, teillent le lin; d’autres,
à Oisy-le-Verger, font des chaises ; d’autres enfin fabriquent des
couteaux comme à Iv u y ou s’emploient dans les briqueteries comme
à Paillencourt.
Parfois lorsque l’absence d’industrie dans le voisinage rend vaine
toute espérance d’un travail assuré, la nécessité de vivre suggère
mille expédients. C’est l’origine d’une multitude de petits métiers et
de petits négoces, nés d’une spéculation ingénieuse, pratiqués avec
une véritable âpreté. A Créquy, le village contient trop de monde ;
la moisson terminée, on se fait colporteur; on s’en va jusqu’à Saint-
Omer, Fruges, Arras, vendre les cuillers en bois, les jougs, les pipes
de terre fabriqués dans le pays; jadis on voyageait avec la hotte;
mais avec les bénéfices on peut acheter un chien, une bourrique et
même un poney; et l’on pousse parfois jusqu’au delà de Paris, débitant
en route la petite fortune ambulante, à laquelle s’ajoutent par
mégarde quelques objets de contrebande. D’Épinoy près deMarquion,
deux cents personnes colportent à travers la France divers menus
articles : cordes à lessive, plumeaux, paillassons, éponges ; elles y
gagnent parfois l’aisance. A La Caloterie près de Montreuil, une trentaine
de petits ménagers, les uns avec un poney, les autres avec un
baudet, parcourentles marchés de Montreuil, d’Etaples et duTouquet
en vendant des légumes. A Saint-Sauflieu, village bâti auprès de la
grande route d’Amiens à Paris, on eut toujours l’humeur voyageuse ;
une trentaine de femmes s’en vont « d’all’Franche » se louer aux
maraîchers des environs de Paris : elles en reviennent avec cinq ou
six cents francs d économie. D’autres habitants du village partaient
jadis pour vendre à travers les campagnes du poisson salé apporté
de Dunkerque ou des fromages achetés à Gournay ; il en reste encore
quelques-uns qu’on distingue à leurs grandes blouses bleues à pattes
blanches *. Mais tous ces éléments migrateurs, marchands ambulants
aoûterons et camberlots,- ouvriers d’usines et mineurs reviennent à
leur foyer ; ce n’est pas par eux que le village se dépeuple.
‘ Un document du début du x y i i » siècle (Archives Nationales, H* 48, nous renseigne
sur ces migrations à la lisière flamande : « Nous voyons les Picards à bidets, disent
les habitants de l’Artois septentrional, s’enfoncer à travers les eaux et les boues ju squ’aux
portes de Saint-Omer pour aller chercher une somme de bled... Croirait-on que
le Picard qui vend ses harengs dans le Hainaut en rapporte des poteries qui se vendent
partout chez nous. »
La dépopulation des campagnes provient des émigrations définitives.
On émigre vers les lieux où les salaires sont plus forts, où la
vie paraît plus facile, aux mines, aux usines, à la ville, à Paris et
même à l’étranger. Les mines ont exercé sur les populations d’Artois
une séduction plus violente encore que sur les populations de la
Flandre; dans, le Nord, les charbonnages peuvent recruter leurs nouveaux
ouvriers parmi l ’excédent local de la natalité ; dans le Pas-de-
Calais, au contraire, le personnel est venu de villages fort éloignés
des cantons de Croisilles, de Marquion, de Beaumetz, de Fruges et
même du Boulonnais ; sous cet afflux de ruraux auxquels vinrent
s’ajouter des Belges, on vit Loos passer de 870 habitants en 1831 à
3.694 en 1901, Sains de 478 à 1.251, Noeux de 1.112 à 7.771, Bruay
de 712 à 14.740. Depuis le milieu du xixe siècle, les usines de la
vallée de la Scarpe drainent toutes les campagnes voisines. Aux
peignages et aux tissages du rayon de Fourmies, c’est le Cambrésis
qui fournit depuis 1840 une partie de leur main-d’oeuvre ; le tissage
à la main au village ne rapportant plus, beaucoup de « Camberlots »
ont cessé leurs migrations annuelles pour s’établir d’une manière
permanente auprès des usines du Hainaut. Sur la rive droite de la
Haute-Bresle, le manque de métiers d’hiver pousse les ouvriers ruraux
auprès des verreries de la Forêf d’Eu. Le centre métallurgique de
Creil s’est peuplé en grande partie aux dépens des campagnes
picardes; des familles nombreuses lui vinrent du Santerre et des
environs de Doullens depuis la chute du lin et de la bonneterie.
D’autres s’en vont chercher fortune comme domestiques à Paris et
dans ses environs; mais les provinciaux de Picardie et d’Artois sont
moins nombreux dans la capitale que ne le font supposer la proximité
du pays et la facilité des communications ; l’Auvergne, le Berry
la Bourgogne, la Bretagne, la Champagne, la Franche-Comté, la
Gascogne, la Lorraine et la Normandie envoient à Paris beaucoup
plus d’émigrants ; c’est que les campagnes de Picardie, d’Artois et
de Cambrésis possèdent encore chez elles des ateliers où s’emploie
leur main-d’oeuvre. Quelques paysans cherchent même à s’expatrier :
en 1889, des bonnetiers de Warsy-sur-l’Avre partirent pour la Répu-
publique Argentine.
C’est à l’émigration vers d’autres contrées et non pas à l’attraction
des villes locales qu’il faut attribuer la dépopulation rurale. Le
développement urbain n’a pas atteint ici les proportions démesurées
qu’on peut remarquer ailleurs. De 1846 à 1896, la population
urbaine de la Somme avait monté de 45 p. 100 ; celle de l’Oise, de
68; celle de l’Aisne de 65. Pour la rapidité de la progression, ces