Ces murs en bois et en terre ne pourraient pas supporter des
poids considérables; aussi la maison n’a pas d’étage; et encore ce
rez-de-chaussée est-il bas, à petites ouvertures, afin de ne pas
diminuer la solidité des parois ; la fragilité des matériaux empêche
que la maison ne s’élève; elle reste ramassée, rasant le sol; elle
semble sortir de terre (pl. XIII et pl. XIV).
Ces procédés de construction auraient de graves inconvénients
si on les appliquait dans tous les bâtiments d’exploitation. Les murs
en terre ne protègent pas contre l humidité les récoltes entassées
dans la grange ; dans les étables et les écuries, les animaux les
dégradent facilement. Aussi voit-on généralement les murs en torchis
reposer sur un soubassement solide qu’on appelle le « solin », haut
d’environ un ou deux pieds ; on y met tout ce que le voisinage peut
fournir de matériaux durs, des silex un peu partout, des grès dans
l’Artois, des briques. Parfois une naïve fantaisie mêle à cet assemblage
des velléités décoratives ; et le solin se présente quelquefois comme
un damier en pierre, où la tranché brillante des silex noirs alterne
avec la tranche blanchâtre des moellons de craie dure.
Ce mode de construction rurale tend à disparaître par l’emploi de
fabrique. On l’observe parfaitement pur autour de Fruges, d’Heuchin,
de Pas, de Doullens, de Bernaville, de Crèvecoeur, de Grandvillers.
En beaucoup d’endroits, on l’entretient; mais quand on bâtit à neuf,
on emploie la brique; toutefois pour les logements des bêtes, on
conserve souvent le torchis avec le solin de pierres. Au voisinage des
villes et dans les villages enrichis par la betterave, c’est la brique
qui l’emporte. Cette lente évolution de la bâtisse présente, surtout
dans les villages qui en montrent encore toutes les phases, un véritable
enseignement. Chaque maison, par la juxtaposition des divers
matériaux, se révèle comme le produit d’une longue succession
d’efforts ; à elle seule, elle offre le témoignage concret de l’évolution,
qui partout sur cette terre fertile a mené les hommes vers une situation
plus indépendante et fait sortir lentement le ménager de l’ouvrier
agricole, le laboureur du ménager. Plus la variété des matériaux est
grande, plus devient pittoresque l’évolution de ce passé social. Il
n’est pas rare de voir la maison d’habitation bâtie en torchis et en bois
conserver son allure misérable et affaissée, tandis que la grange
toute neuve reluit d’ardoises et de briques; l’une rappelle l’ancêtre,
le petit ménager, dont l’épargne a commencé la fortune de la famille ;
l’autre représente la génération nouvelle parvenue à l’aisance.
Parfois aussi l’aspect disparate des constructions provient de ce
que, autour d’une cour maintenant unique, se trouvent réunis les
bâtiments de deux exploitations jadis séparées; et alors alternent des
murs en torchis à pans de bois apparents, des murs en torchis recouverts
d’un badigeon à la chaux, des murs en briques, des toits de
chaume, des toits de pannes, des toits d’ardoises. Mais, quelle que
soit la bigarrure des couvertures et des murailles, le plan de la
ferme conserve toujours ses traits essentiels.
Nous retrouvons ce plan, même lorsque la brique envahit la
construction tout entière comme entre Arras et Cambrai, lorsque
c’est la craie comme au Nord-Ouest d’Arras, lorsque c’est le calcaire
grossier comme autour de Noyon et de Clermont. Au Nord-Ouest
d’Arras, à Écurie, à Aix-Noulette, à Bouvigny, à Estrée-Cauchie,
beaucoup de maisons sont bâties en craie ; les carrières d’abbayes
fournissent depuis longtemps des matériaux durs aux villages ; les
paysans ont trouvé les mêmes ressources aux environs de Nivillers
et de Marseille-le-Petit. Mais malgré le changement des matériaux,
on observe toujours les granges en bordure de la rue et les grandes
portes charretières où l’on abrite les voitures, où l ’on bat la récolte.
Seul l’aspect extérieur du village change; il semble plus solide, plus
propre. Cette impression se renouvelle lorsqu’on entre dans le
domaine du calcaire grossier. Aux approches de Clermont, d’Estrées-
Saint-Denis, de Ribecourt et de Noyon, les maisons en terre disparaissent
pour laisser place aux maisons en pierre de taille; l’habitation
s’élève, plus vaste, mieux aérée; les clôtures se font aussi en
pierre, en maçonnerie sèche ; de là, l’aspect élégant et aisé de ces
villages; mais sous ce travestissement nouveau, la fonction agricole
de la maison subsiste ; à Sacy-le-Grand, la petite ferme communique
toujours avec la rue par une grande porte cochère qui passe sous la
grange; mais cette porte, beaucoup plus haute, décrit un cintre gracieux
que soutient la pierre de taille. Ainsi, fidèle partout à ses fonctions
agricoles, l’habitation rurale se montre indifférente à la nature
des matériaux ; la brique remplace le torchis ; la panne et l’ardoise
remplacent le chaume ; mais ces changements qui ont défiguré la
ferme picarde n’ont pas dérangé l’organisme ; nous la retrouvons
sur tout ce domaine comme l’expression concrète de toute une économie
rurale.
Les autres types d’habitation rurale.
Lorsque les conditions de l’exploitation et la nature des produits
changent, on voit apparaître d’autres formes d’habitation rurale.
Sur le Haut-Boulonnais au Nord-Ouest de la Ternoise, sur les