merci aie de la Somme durait encore au xvme siècle. Les denrées
c o l o n i a l e s y pénétraient par Saint-Valery. L'hiver, pomme la Somme
restait navigable alors que l’embâcle barrait la Seine, les marchandises
remontaient jusqu’à Amiens d’où les rouliers les conduisaient
à Paris En 1738, on construisit à la sortie d’Amiens un bassin qui
supprima les difficultés d’accès. Ce fut alors la belle époque du trafic.
La rivière amenait à Amiens les épiceries, les eaux-de-vie, les
métaux- elle y prenait les étoffes à destination de l’Espagne, de
l’Italie, de l’Angleterre, de la Hollande, de l’Allemagne. De même,
les voyageurs qui « ne couraient pas la poste | s’embarquaient sur
les gribannes ; en 1720, un maître gribannier affecta au service des
voyageurs entre Abbeville et Amiens, et vice versa, trois petites barques,
vulgairement appelées picotins ou diligences d’eau ; en 1733,
dix-huit picotins suffisaient à peine à la circulation \ Nul doute que
cette activité de la Somme n’ait fait songer pour elle à des destinées
plus hautes, au rôle d’une grande voie de transit.
L’idée datait déjà d’assez loin. A l’époque où la Flandre n était
pas encore française, on désirait des communications directes entre
Paris et les ports de la Manche. Sous Henri IV 2, on avait imagine
la possibilité d’une jonction entre Dieppe et l’Oise par un canal qui
aurait utilisé les vallées de Bray et du Thérain. Une autre conception
plus pratique utilisait la Somme jusqu’à Amiens, canalisait la
Noye de Pierrepont à Montdidier et gagnait l ’Oise par l’Aronde ;
mais on dut renoncer à ce tr&cé parce que la sécheresse des plateaux
traversés aurait rendu presque impossible l’alimentation du canal .
On en vint alors à l’idée d’employer la vallée de la Somme le plus
loin possible; en 1680, on étudiait déjà la prolongation de la navigation
jusqu’à Péronne ; mais on recula devant l’exécution parce
qu’on craignit de ne pouvoir maîtriser les eaux de la Somme sur le
fond tourbeux de la vallée, et l’on en revint à un projet de canal a
point de partage entre Amiens et Noyon. Mais le commerce insistait
de plus en plus pour la création d’une route d’eau entre la Manche et
Paris ; la jonction de l’Oise et de la Somme apparaissait comme la
meilleure solution du problème. En 1716, le Père Sébastien, l’ingénieur
du canal d’Orléans, proposait un canal à point de partage non
plus entre Noyon et Amiens, mais entre Noyon et Ham par la vallée
de la Verse et Guiscard avec 18 écluses. Un peu plus tard en 1721,
* Sur cette ancienne activité de la Somme, voyez Inventaire (Somme), 547,11" XVIII ;
Rivoire, 583, p. 21 ; Prarond, 580, VI, p. 633.
* Graves, 76, p. 89.
3 Beauvillé, 476, II, p. 319-327.
Demus, directeur des fortifications de Picardie, projetait d’améliorer
la Somme sur toute sa longueur, non plus jusqu’à Ham, mais jusqu’à
Saint-Quentin et de joindre la Somme à l’Oise par un canal
qui, partant de Saint-Quentin, passerait à Harly, Homblières, Marcy,
Regny, et toucherait l’Oise à Sissy. Ce fut ce dernier projet qui
l’emporta et qui figure dans la concession des travaux faite en 1724
au sieur de Marcy et à ses associés. Quand on en vint à la construction,
l ’un des associés, Crozat, proposa un autre tracé pour le court
canal qui devait joindre les deux rivières ; après étude et devis
(1729-1731), un canal qui suivait la dépression naturelle si bien marquée
entre Saint-Simon et Fargniers fut définitivement décidé1.
Tous ces travaux s’exécutèrent par tronçons ; mais leur ensemble
constituait un programme dont l’idée maîtresse, à savoir la jonction
de Paris à la Manche, fut souvent formulée par les contemporains ;
au début du xixe siècle, c’est encore ainsi que l’opinion publique les
conçoit ; en 1821, Brière de Mondétour 2, étudiant le canal de Picardie,
démontre qu’il drainera tout le commerce qui se fait par la
Seine vers Paris.
Aussi on prévoit tous les travaux nécessaires à l’ampleur de
ce rôle, non seulement le canal Crozat de la Somme à l’Oise et la
canalisation d e là Somme de Saint-Simon à Amiens, mais encore la
régularisation de la Somme d’Amiens à Abbeville et l’amélioration
de la baie.de Somme. Entre Amiens et Abbeville, certains hauts
fonds laissaient à peine un pied et demi ou deux pieds d’eau; les
gribannes remontaient difficilement jusqu’à Amiens ; même les petites
barques ou allèges, sur lesquelles on transbordait une partie de leur
chargement, touchaient du fond sur le sable et les cailloux et ne
pouvaient démarrer qu’à grand renfort de hâleurs ; à cause de ces
obstacles, les marchandises, au lieu d’arriver en vingt-quatre heures,
mettaient plusieurs jours pour atteindre Amiens. Il fallait donc
régulariser le lit de la Somme d’Abbeville à Amiens pour le rendre
accessible à des bateaux d’un plus fort tonnage. De même, on devait
au-dessous d’Abbeville recueillir toutes les eaux en un canal et les
conduire à Saint-Yalery. Ce dernier ouvrage fut autorisé en 1782-
1784. Les autres furent successivement exécutés, nous ne dirons pas
à la suite de quelles vicissitudes. Le canal Crozat, de Chauny à Saint-
Quentin, qui réalisait de Fargniers à Saint-Simon la jonction de
l’Oise et de la Somme fut livré à la navigation dès 1738. Quant au
1 Vignpn, 373, I, p. 107-112 ; H, p. 93.
* Mémoire sur le canal du duc d’Angoulême. Biblioth. d’Amiens, n» 5745.