torrentielles qui creusèrent les vallées ; mais pourquoi n’admettre
que des ruissellements temporaires à une époque où tout prouve que
le régime des pluies intenses s’étendit sur de longues périodes P On
peut admettre aussi que le creusement de ces vallées est dû au fait
que momentanément la craie fut soumise à des conditions imperméables
: il est possible, dit-on, que sur un sol gelé le ruissellement
ait gravé à la longue de profonds sillons. Mais l’hypothèse de la
gelée est inutile pour concevoir une plus grande imperméabilité de
la craie; en effet, un régime de forte pluviosité, en saturant entièrement
la craie, dut suffire à accroître et à généraliser le ruissellement.
Cette hypothèse simple nous ramène à des conditions
hydrologiques différentes des conditions actuelles par cette seule
particularité que le niveau de la nappe aquifère était plus élevé que
maintenant. Il reste à expliquer pourquoi ce niveau s’est abaissé. Le
retour du pays à un régime do pluies moins abondantes suffirait à
la rigueur pour comprendre cet abaissement. Mais il n ’est pas interdit
de penser qu un soulèvement de la contrée, ayant abaissé le
niveau de base, obligea les rivières à s’encaisser, accéléra l’écoulement
des nappes d’eau et détermina l’assèchement des hautes vallées
% Ainsi, on peut expliquer l’ampleur première de ces phénomènes
et ce développement extraordinaire des longs sillons secs à la
surface de la craie.
Nous le voyons se continuer sous nos yeux ; nous savons qu’on
observe partout ses progrès lents. Mais il est téméraire d’affirmer
que c est par 1 action des mêmes causes. Il paraît plutôt en relation
avec des causes actuelles. Les assises de la craie sont soumises à un
travail souterrain de désagrégation et d’érosion; on calcule qu’une
source, d un débit moyen de 500 mètres cubes à l’heure et dont l’eau
contient en moyenne par litre 0gr,50 de carbonate de chaux enlève
aux terrains traversés plus de 1.000 tonnes, soit environ 500 mètres
cubes de craie par a n 2 ; de cette extraction continuelle résultent des
vides dans la roche qui supporte les eaux ; de vide en vide, de fissure
en fissure, ces eaux descendent peu à peu vers la base et la surface
hydrostatique occupe des niveaux de moins en moins élevés ;
ainsi peut diminuer et s’éteindre le débit des sources. D’autre part,
des causes artificielles contribuent au même résultat. Les déboisements
et les défrichements, en supprimant le tapis végétal, augmen-
1 L’hypothèse de ce soulèvement s’accorde avec tout ce que nous savons de l’évolution
géographique du pays et l’histoire des vallées. Voy. chapitre n, et le présent chapitre.
1 Boursault,208, p . 117-118.
tent les effets du ruissellement et appauvrissent les nappes d’eau ;
en fait, des témoignages très nombreux mettent en relation des défrichements
de bois et des disparitions de sources ; l’assèchement des
sources de la Bresle, que nous avons constaté, suivit vers 1840 le
défrichement d’un grand bois, situé sur Formerie, à peu de distance
des Fosses Quatresses. Le ruisseau d’Arriveaux1 descendit sa source
d’un kilomètre, vers Breuil, peu de temps après le défrichement du
bois de Cressy (1837). De même le défrichement de la forêt d’Ar-
rouaise semble avoir été fatal à toutes les rivières qu’elle envoyait à
la Somme et à l’Escaut. Des vieillards, qui gardent le souvenir des
grands défrichements accomplis pendant la première partie du
xixe siècle, n’hésitent pas àleur attribuer un déclin marqué des sources,
et beaucoup d’entre eux témoignent que la disparition de telle source
coïncide avec la mise en culture.de tel champ. Si les nappes d’eau
ne peuvent pas se reconstituer dans un sol déboisé, elles s’épuisent
par les forages industriels qui leur enlèvent des masses énormes
d’eau. Depuis 1873, l’eau ne « source » plus dans le Cojeul à Boiry-
Saint-Martin ; or, cette même année fut construite la sucrerie de
Boiry-Sainte-Rictrude qui pendant six mois emploie 7.000 à 10.000
hectolitres d’eau par jour. A Labucquière et à Beugny, près de Ber-
tincourt,les sources tarissent de Novembre à Février pendantle travail
de la sucrerie de Beugny. De même à Beaumetz-les-Gambrai. A Hau-
court, près de Vitry-en-Artois, ce sont encore les sucreries qui ont fait
descendre de 300 mètres la source du ruisseau. Enfin, le débit des
sources de la Somme et des puits voisins baisse depuis l’établissement
de la sucrerie d’Essigny. Ainsi chaque jour s’accentue davantage le
contraste entre l’aridité des plateaux et l’humidité des vallées ; nous
assistons à l’exode des sources vers les grandes vallées ; c’est là
qu’elles trouvent « leur dernier refuge 2 ».
Le régime des rivières.
Le caractère et le régime de$ sources s’expriment dans le caractère
et le régime des rivières. Le ruissellement a peu d’action sur
l’hydrographie. La craie, surmontée de limon, forme un ensemble
perméable qui absorbe directement une partie des pluies. Seules des
averses d’orages ou des pluies prolongées ruissellent sur les pentes
et jettent dans les ravins secs des torrents d’eau. Mais, même alors,
les crues perdent toute énergie dès qu’elles atteignentles vallées ; car
* Buteux, 22, p. 109.
* Gosselet, 22S, p. 293.