dire que l’élevage du mouton ait diminué. Si le nombre des bêtes
décroît, il est certain que cette décroissance tient à la réduction de
leur vie moyenne dont la boucherie porte toute la responsabilité. En
outre, si le total des existences a faibli, le poids a augmenté; car
les moutons du pays sont de grosses et fortes bêtes. A ne considérer
que le nombre des moutons par rapport à la superficie, les départements
de l’Aisne, du Nord, de l’Oise, du Pas-de-Calais, de la
Somme sont dépassés par les régions d’élevage extensif, comme la
Creuse, la Haute-Vienne, les Bouches-du-Rhône, l’Indre; mais, à
considérer le poids vif, l’Oise, l’Aisne et la Somme se classent parmi
les départements privilégiés; c’est dans le Nord que les moutons et
les agneaux atteignent les plus hauts p r ix 1': Le mouton s’est adapté
au milieu agricole ; il est devenu un produit de la culture.
Le cheval.
Depuis la frontière de Belgique jusqu’à l’embouchure de la
Somme, au pied du plateau de craie et dans les plus fraîches de ses
vallées, se déploie le long de la côte une frange d’herbages où les
éleveurs s’occupent surtout de la reproduction du cheval; il n’est
guère de ferme qui ne possède sa jument et ses poulains. Sous ce
climat humide, sur ces terres herbeuses s’est développée la forte
race de chevaux de trait qui a fait la réputation du Boulonnais 2. Une
étroite solidarité unit ces pays d’élevage avec les plateaux de culture.
La population chevaline adulte du Bas-Boulonnais se compose
presque exclusivement de juments poulinières, en nombre fort considérable.
La culture est pénible dans le pays ; à l’automne, les
gelées et les pluies surviennent tôt ; au printemps, il gèle encore fort
tard; les travaux agricoles doivent s’exécuter dans un délai fort
court; aussi le cultivateur possède souvent le double des juments
nécessaires à son exploitation ; en leur demandant des poulains, il
retrouve une partie des frais qu’elles lui coûtent comme bêtes de
labour. En admettant que trois juments suffisent au travail d’une
exploitation, le cultivateur en possédera six qui lui donneront en
' D’après la Statistique Agricole de 1892, p. 274-277. Par rapport à 100 hectares du
territoire agricole, nombre des moutons : Aisne 72,55 ; Nord 16,90; Oise 63,16 ; Pas-de-
Calais 33,61 ; Somme 64,23 ; • Creuse 116,73 ; Indre 80.49 ; France 41,84. Poids vif en
kilogrammes : Aisne 2.550 ; Nord 666; Oise 2.201 ; Pas-de-Calais 1.184, Somme 2.104 ;
Creuse 2.401; Indre 2.079 ; France 1.159.
Suri élevage du cheval boulonnais, voyez Arch. Somme, G, 135 (note sur les Haras)
et 803; Furne 286 ; Dumont 283.
deux ans chacune deux poulains ; il aura donc à nourrir six juments
et douze poulains depuis le mois de Mars jusqu’au mois de Novembre ;
or, la terre ne saurait jamais fournir assez de fourrages. A plus forte
raison, s’il voulait garder ces animaux jusqu’à l äge du service,
c’esL-à-dire jusqu’à trois ou quatre ans, il finirait par encombrer ses
écuries; de là, pour ces pays d’herbages, la nécessité de vendre
une partie des jeunes animaux; d elà, les foires d’automne de Des-
vres, de Marquise, de Fruges, de Saint-Pol, d’Hucqueliers, de Nam-
pont, dé Rue où sont amenés les poulains de six à dix-huit mois.
Ces poulains sont achetés par les cultivateurs de pays où la
terre plus fertile permet de leur assurer une nourriture abondante
et forte; ils s’en vont grandir dans le pays de Caux et surtout dans
le Yimeu. Dans leur nouveau séjour, ils trouvent encore de 1 herbe
et d e là liberté. Chaque habitation rurale dans le Yimeu possède un
verger planté de pommiers sous lesquels pousse un gazon fin et
serré ; dans ces pâtures les poulains prennent cet exercice en liberté
si nécessaire à leur développement. La spéculation dont ils forment
l’objet est une opération fort ingénieuse, délicate, lucrative, tirant
un merveilleux parti des conditions du milieu. En sortant de leur
pays natal, les poulains arrivent dans un pays de culture soignée où
le travail des champs, labours et charrois, réclame des attelages
vigoureux. Ce ne sont pas des juments qui suffiraient à la besogne;
elles n’auraient pas ces longs repos d’hiver bienfaisants à leur
maternité. Il faut, au contraire, de jeunes bêtes pleines de feu et de
force : aussi ne voit-on guère de juments dans le Yimeu, mais surtout
des poulains. Pendant les six premiers mois de leur séjour à la
ferme, on les ménage; arrivés à la fin de 1 automne, on ne les
emploie pas avant les travaux du printemps ; on leur prodigue les
soins et la bonne nourriture ; pendant l’hiver on leur jette de la
luzerne en foin, de l’hivernache, des warrats. Au printemps, on les
attèle à la charrue avec des animaux plus âgés, sans les surmener ,
ils font ainsi l’apprentissage de leur service ; on les revend alors à
trois ans et demi, à quatre ou à cinq ans. Dédommagés déjà de leur
entretien par le travail fourni, les éleveurs qui les ont achetés enviion
700 francs les revendent pour 1.200 ou 1.500 francs.
Une différence d’aptitudes naturelles crée donc entre deux régions
voisines une division du travail agricole. La première, où naissent
les jeunes, ne possède que des juments et des pouliches ; 1 autre, qui
forme les bêtes au travail, n’est peuplée que de poulains mâles.
C’est dans le Yimeu, aux foires de Blangy, de Gamaches, dAbbe-
ville, d’Oisemont et dans le pays de Caux que les pays de grande