xvin6 siècle et au commencement du xix% il existait entre le pays de
culture flamande et le pays de culture française un contraste qui
frappait tous les observateurs. La démarcation paraissait d’autant
plus violente qu’elle coïncidait en maints endroits avec un changement
de sous-sol; la culture perfectionnée s’étendait surtout à travers
le Bas-Pays, sur le sol d’argile et de sables tertiaires des arrondissements
de Saint-Omer, Béthune, Dunkerque, Hazebrouck, Lille et
Douai; la culture traditionnelle se maintenait dans le Haut-Pays, sur
les terrains de craie des arrondissements de Boulogne, Montreuil,
Saint-Pol, Arras et Cambrai. D’un côté, selon l’expression d’Arthur
Young1, l’agriculture n’était guère plus avancée qu’au Xe siècle ;
l’usage consistait à faire porter à la terre du blé pendant la première
année, des printemps pendant la deuxième et à la laisser reposer en
jachères pendant la troisième. On observait l’assolement triennal. On
semait toujours les grains d’hiver après jachères. On était convaincu
que la terre devait se reposer après deux récoltes. On s’interdisait toute
souplesse dans la culture par cette succession rigide de récoltes. On
ignorait l’emploi raisonné des engrais. Chose paradoxale, la Picardie
produisait des engrais, et c’était la Flandre qui les utilisait. Yers 1752,
des industriels à la recherche d’une mine de charbon de terre, à
Beaurains près de Noyon, découvrirent les lignites contenues dans
l’argile plastique éocène ; cette matière déposée en tas près des puits
s’enflamme au bout de vingt ou trente jours et se réduit en cendres
rouges; lorsqu’on empêche la combustion, elle demeure à l’état de
« cendres noires ». L’analyse ayant démontré que ces cendres pyri-
teuses pouvaient servir d’amendement surtout pour les prairies artificielles
et pour les terres fortes, on se mit à les exploiter autour de
Laon, de Saint-Gobain, de La Fère et de Noyon. Les cultivateurs flamands
en firent de grosses commandes; jusqu’au milieu du xixe siècle
on les vit venir parfois de vingt lieues avec de grosses voitures
chercher des cendres de Picardie ; lorsque le canal de Saint-Quentin
fut ouvert, le transport se fit par eau jusqu’en Belgique. En Picardie,
on ne les utilisait que dans un faible rayon autour des cendrières.
Le Bas-Pays, au contraire, était le domaine de la culture intensive.
Bignon signalait déjà au début du xvin6 siècle une opposition
éclatante entre les plaines d’Artois « où l’usage ordinaire pour faire
porter la terre est de l’ensemencer deux ans de suite et de la laisser
reposer la troisième » et la région de Béthune, d’Aire, de Lillers, de
Saint-Omer « dont le terroir est si gras et si fertile qu’il produit non
* Young, 602, II, p. 342-343 et ssq. (trad. Lesage).
seulement tous les ans, mais qu’on fait deux et jusqu’à trois sortes
de dépouilles par an ». La jachère n’existe plus. Entre Yalenciennes
et Douai, A. Young note cette succession : 1° blé, puis navets la
même année ; 2° avoine ; 3° trèfle; 4° blé ; 5° chanvre; 6° blé ; 7° lin;
8° colza; 9° blé; 10° fèves ; 11° blé. Le cultivateur est convaincu que
chaque plante n’enlève au sol que les engrais qui lui conviennent,
qu’une terre pourvue d’un engrais complet peut produire plusieurs
récoltes différentes sans exiger de nouveaux engrais. « Il sait qu’un
bon système d’agriculture suppose les récoltes de grains et de
bestiaux alternatives puisque point de grains sans engrais et point
d’engrais sans bestiaux; aussi fait-il alterner les plantes traçantes,
pivotantes, oléagineuses ; il fait succéder les fourrages et racines aux
grains et graines. Aussi les jachères sont à peu près inconnues1. »
De tout temps, les Flamands ont soigné leur approvisionnement
d’engrais ; outre les cendres de Picardie, ils achetaient par grandes
masses les cendres de Hollande. Nulle part la terre n ’était mieux
cultivée, le bétail mieux traité ; nulle part mieux comprise dans les
exploitations rurales la solidarité qui unit la culture des champs et
l’entretien des animaux. La culture flamande devint un modèle pour
les campagnes françaises et c’ést en l’imitant qu’elles sortirent de la
routine et de l’ignorance. La pénétration de cette influence bienfaisante
ne s’est pas accomplie à la fois sur toute la lisière de la région
de craie; elle fut plus précoce et plus profonde sur les points même
où la facilité des communications rendait le contact plus immédiat;
elle se propagea de Lille et de Douai vers Arras et Cambrai ; tout
l’espace compris entre Arras et Cambrai, large zone ouverte vers le
Nord, se raccorde sans obstacle physique avec la plaine flamande ;
c’est par là que le progrès gagna les terres limoneuses de l’Artois.
Déjà, au début du xixe siècle, on rencontre, autour de Bapaume et
d’Arras, des exploitations nombreuses fonctionnant d’après les principes
flamands (développement des prairies artificielles, suppression
de la jachère, emploi des cendres de tourbe) ; bientôtarrive de Flandre
la culture des oléagineux à laquelle succède vers le milieu du
xixe siècle la culture de la betterave à sucre. Ainsi les méthodes et
les plantes nouvelles se répandent de proche en proche à travers les
plaines au limon épais. Peu à peu les fourrages artificiels remplacent
les jachères. Dans le Santerre, l’assolement biennal, où le blé
alterne avec les plantes fourragères et les plantes oléagineuses,
devient général à partir de 1835. Avec la betterave, on en arrive à
Peuchet et Chanlaire, 575, II. p. 18 (Nord).