la voie ferrée a tué ce commerce; toutefois la Picardie avec son million
de kilogrammes compte encore parmiles plus gros fournisseurs d’oeufs
de la capitale. Mais elle reste avant tout le pays du blé et du sucre.
Sur un arrivage total de 2.311,667 quintaux de sucre, Paris en reçoit
2.370.000 (1900) par la ligne du Nord 1 ; quant au blé et à la farine,
le même réseau les amène par masses énormes. Le développement
des voies ferrées a diminué, dans une certaine mesure, la valeur de
ce courant commercial ; jusque-là la Picardie méridionale avait
partagé exclusivement avec 5 ou 6 départements voisins de Paris le
monopole de l’alimentation de la capitale; mais par les chemins de
fer ce débouché s’ouvre à la France entière. Les produits se sont
dirigés alors vers une autre masse populeuse, vers Londres ; déjà
depuis une trentaine d’années, les ports de la Manche, Boulogne et
le Tréport exportent en Angleterre des oeufs et des volailles. Mais ce
courant dérivé qui rencontre sur le marché anglais la concurrence
des nations du Nord n ’a pas l’ampleur des deux grands fleuves
commerciaux par lesquels s’écoulent vers la Flandre et vers Paris
l’excédent de production de ces grandes plaines agricoles.
L’échange des procédés industriels.
La vente des produits du sol n’est pas la seule forme des échanges.
L’industrie étant devenue dans le pays une forme essentielle de
l’activité, les échanges portèrent sur les matières premières et les
objets fabriqués. Chaque jour a vu se resserrer les liens qui unissent
la Picardie, l’Artois et le Cambrésis au groupement anglo-flamand
et au groupement parisien. Pendant longtemps, la fabrique d’Amiens
et la fabrique de Saint-Quentin trouvèrent sur place leurs matières
premières; la laine, le chanvre et le lin étaient des productions
indigènes. La laine manqua la première. Amiens devint tributaire
non seulement des provinces voisines, Brie, Soissonnais, Normandie,
mais encore de pays étrangers comme l’Espagne. Elle eut longtemps
l’ambition et un instant l’espérance de posséder par la Somme une
voie d’accès qui lui fût propre : au xvme siècle, Saint-Valery recevait
les matières premières nécessaires à la manufacture d’Amiens
et expédiait ses étoffes aux clients d’outre-mer. Mais cette voie de
commerce était condamnée, à la fois par sa propre insuffisance et
par les nouvelles conditions du trafic général. Les laines, les cotons,
les lins et les chanvres affluèrent sur les points où la fabrique les
1 Annuaire... 323, p. 366-367 (1900).
exigeait par masses considérables ; le coton arrivait au Havre et à
Rouen ; et bientôt la fabrique picarde devenait tributaire des filatures
normandes. Cette servitude s’établissait plus complète encore à
l’égard de la Flandre. La Flandre, gagnée par le grand mouvement
économique qui centralisait et spécialisait les industries, acquit le
monopole presque exclusif de la filature. Le coton de Louisiane et
d’Égypte, lelin etle chanvre de Russie, la laine du marché de Londres
pénétrèrent en Flandre par Dunkerque. L’aménagement contemporain
des grands ports de la mer du Nord fait de cette zone des Pays-
Bas la porte d’entrée des matières premières pour les industries
textiles du Nord de la France ; c’est par là que l’Angleterre nous
envoie ses filés; c’est par là que débarquent coton, laine, lin ,
chanvre, jute; Si l’on ajoute que le combustible, la houille, provient
du Nord et du Pas-de-Calais, nous aurons une idée du vasselage
économique qui attache la région de la Somme, du Haut-Escaut
et de l’Oise moyenne à la région anglo-flamande et qui impose
aux grandes voies de communication la direction Nord-Sud. On
est frappé de la faible importance des routes dirigées Est-Ouest: les
voies de terre, les voies de fer, les voies d’eau expriment par leur
tracé, leur nombre et leur fréquentation l’intensité de ce courant
d’échange^. Si Paris n’expédie pas de matières premières, il demande
les produits fabriqués ; c’est par l’intermédiaire de ses maisons de
commerce, de ses commissionnaires, que s’écoulent une partie des
étoffes du rayon de Saint-Quentin et du Santerre et tout le stock
des menus objets de verre, de bois, d’os, de nacre fabriqués dans la
région du ïh é ra in .
Mais l’importance des relations économiques ne se mesure pas
seulement au prix et au poids des marchandises échangées ; il existe
aussi des mouvements de personnes, des échanges de voyageurs qui
se traduisent par des mouvements d’idées, par des échanges de procédés,
par des imitations de produits. A la faveur d’une circulation
facile des denrées et des personnes, on voit ainsi se transmettre des
exemples féconds de technique industrielle et agricole. A ce point de
vue, le milieu picard a toujours été influencé par le milieu anglo-
flamand ; il lui doit la plupart des initiatives heureuses qui lui ont
permis d’accroître ses richesses par une meilleure exploitation de
ses ressources.
Limitrophe delaFlandre dontne le sépare aucun obstacle naturel,
il reçut très tôt le rayonnement de ce foyer d’activité. Les Flandres
furent pour nos pays du Nord ce que l’Italie fut pour notre Midi. Nos
cités en reçurent les industries qui ont fait leur fortune. Les Flamands