des épaisseurs et des étendues telles qu’il semble bien difficile
aujourd’hui d’en calculer le volume. Tout ce qui nous en reste ne
présente aucune continuité. Tantôt invisibles dans la topographie,
ces vestiges, de sables et d’argiles se cachent dans les poches de la
craie où la dissolution de la roche les a fait peu à peu descendre.
Tantôt il faut de minutieuses recherches pour les reconnaître,
comme ces grès siliceux pétris de nummulites qu’on ramasse aux
environs de Saint-Quentin et de Cambrai en blocs épars au milieu
des terres argileuses et que leur dureté a sauvés d’une destruction
complète. Tantôt ces témoins tertiaires, mieux préservés, forment
au-dessus de la plaine des tertres légèrement élevés, dont on peut
observer la constitution dans leurs carrières de sables et de grès;
parfois, mêlés d’argile, leurs sables donnent naissance à des nappes
d’eau; souvent étalés en larges plaques couvertes de forêts ou bien
ramassés en petites buttes où poussent les bruyères et les ajoncs,
ils substituent au paysage monotone de la craie quelques aspects
solitaires d’une nature plus fraîche et plus sauvage.
Les relations avec l’Océan : la Manche
Bordée à l’Est par un massif primaire, au Nord et au Sud par des
bassins tertiaires, la craie ne trouve ses vraies affinités géologiques
qu’au delà de la Manche, en Angleterre. L’événement qui amena les
eaux de l’Atlantique entre l’Anglelerre et la France ne remonte pas
très loin dans l’histoire de la terre. La mer qui déposait la craie en
France déposa le même type de craie en Angleterre; venant du
Nord, elle se heurtait vers le Sud au continent ancien qui renfermait
à la fois notre Armorique, la Cornouailles etle pays de Galles. Pendant
la période éocène, les eaux dont les sédiments comblaient le Bassin
de Paris couvrirent le Bassin de Londres ; la variété de leurs dépôts
trahit les mêmes alternatives de transgression et de régression, d’affaissement
et d’exhaussement. En Angleterre comme en France, le
fond des mers crétacées et tertiaires se soulevait le long d un axe de
direction S .E .-N .O ., prolongement de l’axe d’Artois. Cet axe du
Weald, rajeuni au début de l’époque tertiaire, finit par séparer complètement
les deux bassins tertiaires de Londres et duHampshire, de sorte
qu’à ce moment la craie formait une région haute s’étendant d’une
manière ininterrompue depuis l’Ouest du Bassin de Londres jusqu à
l’Ardenne à travers le Pas de Calais. Les mêmes traits structuraux s’y
reconnaissent d’une extrémité à l’autre. L’axe de 1 Artois, echo superficiel
du pli silurien du Condroz, s’y prolonge par le Weald, l’axe de
la Bresle par Taxe de Winchester; l’axe duBray par l’axe de Wight
et de Purbeck1. Or la direction de la Manche est perpendiculaire
à cette région anticlinale S.E-N. 0 . Comment expliquer son origine ?
L’origine delà Manche doit être cherchée dans un système de plis
perpendiculaires au soulèvement du W eald et du Boulonnais. Le fond
de cette mer, dans sa partie occidentale, depuis son entrée jusqu’au
méridien de Portsmouth dessine une véritable vallée sous-marine
parallèle à la ligne moyenne de la côte et formée par ennoyage d’un
synclinal dirigé d’abord S. O-N. E., mais qui semble s’infléchir progressivement
0 . E., puis N. O.-S. E. et se prolonger par le synclinal
delà Somme ; au début, ce bras de mer se présente donc parallèlement
à la direction moyenne des plis de la côte1. Mais il n’en est plus de
même dans la partie orientale de la Manche. Si l’on considère une
carte hypsométrique de la craie2, on constate que l ’emplacement de la
Manche s’annonce comme une zone synclinale; de Dieppe à Ëtaples,
les couches de craie plongent assez rapidement vers la mer. Bien
plus, on observe sur le fond du Pas de Calais des ondulations qui
sont normales à la direction de l’axe de l ’Artois8. Il n ’est pas douteux
que nous nous trouvons en présence d’un abaissement transversal
des axes et que cet accident tectonique prépara le chemin au
golfe qui devait trancher en deux portions la région de craie Anglo-
française et séparer l’Angleterre de la France. A l ’époque du pliocène
moyen'*, le détroit n’existait pas encore et l’Angleterre était
soudée au continent; l’ondulation synclinale où devait s’établir le
Pas de Calais, soulevée avec le reste du pays, formait un large sillon
d écoulement quiportait à l’Atlan tique les eaux duS. E. de l’Angleterre
et du N. 0. de la France; la Seine et la Somme étaient ses affluents
de gauche. Ce grand fleuve 6, dont le lit disparaît aujourd’hui sous
les eaux de la Manche, coulait depuis l’emplacement actuel du Pas de
Calais jusqu’à l’Atlantique ; on suit clairement sa vallée a au pied de
la grande déclivité correspondant à la séparation de la plate-forme
continentale et des profondeurs océaniques; son parcours est indiqué
sur les cartes de 1 Amirauté sous le nom de Hurd Deeps entre les
îles anglo-normandes et l ’île de Wight ; les courants de marée qui
balaient sans cesse la Manche ont maintenu libre son chenal6 ».
Barrois, 4, p. 105. Cf. aussi 5 et 10.
M. Bertrand, 16, p. 627-630.
4 Dollfus, 38, p. 59. (Voy. la carte annexe à l’article.)
* Barrois, 5, p. 83, Gosselet, 58.
■ Jukes-Browne, 87, p. 258, 291 et 314-323.
8 flull, 84, p. 323-325.