Etudié aux environs d’Amiens, le diluvium se présente comme le
dépôt de lits fluviaux qui se sont successivement abaissés. On peut
y distinguer deux niveaux qui se tiennent dans la vallée à des altitudes
différentes1. Le plus élevé, parfois assez continu pour former
une terrasse, se montre à Saint-Acheul par 40-60 mètres; au Carcail-
loux par 48 mètres; à Amiens dans la rue Saint-Louis par 58 mètres
et dans le faubourg de Beauvais par 44-53 mètres; près de Saveuse
par 40-60 mètres; et sur la colline de Grâce par 60 mètres. Le second
se tient à Cagny par 32 mètres; au pied de la colline de Saint-Acheul,
près de la gare d’Amiens, par 31-37 mètres ; au pied des coteaux
Saint-Roch et Saint-Jean par 32-34 mètres sur une épaisseur de
10 mètres; à Montières; à Camon; à Argoeuves par 28-36 mètres.
Tandis que les hauts graviers restent à environ 50 mètres au-dessus
du niveau de la Somme actuelle, le premier de ces niveaux récents
se trouve à 30 mètres environ et le second à moins de 10 mètres en
moyenne. Chacun marque une étape dans le creusement de la vallée
et une diminution de la largeur sillonnée par les eaux de la Somme.
Dans les autres vallées, on observe aussi des dépôts de diluvium,
mais trop disloqués et ravinés pour contribuer à l’histoire certaine
des rivières.
La composition minéralogique de ces alluvions fluviátiles prend
un intérêt particulier dans une contrée privée de matériaux durs.
C’est dans leurs assises que pénètrent la plupart des carrières de
sable et de cailloux. Le diluvium contient presque exclusivement
des matériaux enlevés à la craie et tous issus du bassin actuel des
rivières. On y observe, superposés selon les règles de la stratification
fluviatile, les débris des assises tertiaires et surtout les silex2.
En partant des couches les plus anciennes, on note dans les gravières
de Saint-Acheul : I o en bas, le gravier de fond composé de sable et
de cailloux roulés, alternant en zones plus ou moins tourmentées, de
moins en moins volumineux à mesure qu’on s’élève ; 2° en discordance
de stratification avec la couche précédente, une assise de sable
fin, appelé sable aigre par les ouvriers ; 3° un sable limoneux, alternant
parfois avec le précédent, appelé sable gras; 4° au sommet,
une formation locale, particulière à la vallée de la Somme, la Prêle,
amas de galets de craie associés à des éclats de silex, épais de 0m,20
à 1 mètre, produit du ravinement des pentes crayéuses qui marque
la fin de la période violente des atterrissements. Dans certaines vallées,
le diluvium peut prendre un cachet local, en rapport avec cer-
* De Me rccy 116 bis, 118, 121, 123.
- Gosselet, 70 (1901), p. 273 e t ssq .
taines particularités de leur bassin. Le diluvium de la Serre et le
diluvium de la Souche, son affluent, ne se ressemblent p a s1. La
Serre n’a transporté que des silex et des galets de craie. La Souche
coule sur la craie de Champagne où 1 argile à silex fait défaut, de
plus, elle reçoit des eaux qui descendent des pentes sablonneuses
du plateau tertiaire; le sable domine dans ses alluvions au point de
mériter Îa dénomination de « sable de Sissorme » ; étalé sur un large
fond plat, sur le territoire des communes d’Amifontaine, de Prouvais,
de Juvincourt, de la Malmaison, de Sissonne, etc..., il contraste par
ses maigres cultures de sarrazin et de seigle avec les blés et les betteraves
du limon des plateaux voisins. Le diluvium de 1 Oise, forme
en amont d’Hirson uniquement de quartzite et de quartz, se charge
de silex à mesuré qu’il approche de Noyon, puis bientôt il est envahi
par les galets tertiaires. Mais partout ailleurs, dans la vallée de la
Bresle, du Thérain, de la Somme, de l’Authie, de la Canche, de l ’Aa,
de l’Escaut, l’élément principal du caiiloutis est le silex2. Mais nulle
part, même pour la Somme, les terrasses qu il forme ne sont assez
puissantes pour devenir, comme il arrive dans les vallees des grands
fleuves, des éléments originaux de la topographie ou bien des conditions
particulières de peuplement.
Le c om b lem e n t d e s v a l l é e s . L a to u rb e .
Le creusement des vallées s’arrêta lorsque, le sol étant devenu
stable, le lit des rivières put atteindre son profil d’équilibre. La
nature du dépôt tourbeux, qui envahit alors la plupart des vallées,
permet de penser que ce changement s’opéra brusquement. La
Somme passa sans transition d’un régime encore torrentiel où ses
eaux roulaient du limon et du sable au régime paisible d’aujourd’hui
où ses eaux demeurent presque pures. Cette évolution rapide tient
à trois circonstances au changement de climat qui diminua les
chutes de pluie, à la fixation du niveau de base qui suivit la formation
de la Manche, à la faiblesse du relief et à l’homogénéité de la
craie qui avaient permis aux rivières de régulariser leur pente.
Réduite à d’humbles proportions, la Somme se trouva tout d’un coup
isolée dans une vallée démesurément trop large pour ses eaux.
Désormais privée des eaux de ruissellement par la nature perméable
* Barrois, 203, 204.
•- On trouve des amorces de terrasse à 50 mètres au-dessus de la vallée actuelle de la
Canche, à 40 mètres pour la Serre (ferme de Dormicourt), à 45 mètres pour le Vilpion,
à 28 mètres pour le Thérain (à Warluis). Mais il est difficile d’utiliser ces documents
pour fixer des points de repère précis dans l’histoire de ces vallées.