ta rd 1, par la fabrication des toiles. Les campagnes voisines lui fournissaient
les fils de lin; mais jusqu’au début du xix® siècle le tissage
se concentra dans l’enceinte de la ville. Le bon marché de la main-
d oeuvre rurale fit bientôt émigrer le tissage dans les campagnes ; et
maintenant Cambrai ne participe plus à cette fabrication dont il
occupe le centre ; la ville n’est plus qu’un atelier d’apprêts pour les
fins tissus qui lui arrivent des villages ; elle possède l’une des plus
grandes blanchisseries du Nord. Mais avant tout, avec ses faubourgs
d Escaudoeuvres, de Proville et de Neuville, elle constitue comme
Arras et Abbeville le centre d’affaires de toute une région agricole ;
c est la culture qui lui donne toute son existence industrielle par les
fabriques de chicorée, par les brasseries, par les huileries, par les
distilleries, par les sucreries, par les savonneries. Le gros de la
main-d oeuvre demeure encore dans les campagnes ; avec ses
26.580 habitants, Cambrai n’éveille pas plus l’idée d’une grande cité
industrielle que Beauvais avec 20.306, Arras avec 25.813, Abbeville
avec 20.388. Tout autres furent les destinées de Saint-Quentin
(50.278 habitants) et d’Amiens (90.758 habitants).
III
LA FABRIQUE DE SAINT-QUENTIN
Jusqu’au xvie siècle, l’industrie de Saint-Quentin fut la sayetterie
ou fabrication des étoffes de laine. On la trouve signalée dès le
xne siècle avec son complément, la teinture. La vente des éLoffes
était favorisée par la situation de la ville. Saint-Quentin servait aux
filandres et aux Pays-Bas d’entrepôt pour les vins de Champagne,
d Orléanais et de Bourgogne. Ces relations avec le foyer commercial
le plus intense du Moyen Age amènèrent à Saint-Quentin une industrie
flamande : la fabrique des toiles fines. De cette époque date la personnalité
industrielle de Saint-Quentin ; tandis qu’Amiens se spécialisait
dans les étoffes de laine, Saint-Quentin retenait les étoffes de
fil. Toutes les industries contemporaines dérivent par une filiation
directe de ces industries primitives.
Les toiles.
L’établissement à Saint-Quentin de la fabrique des tissus de lin 2
1 Probablement vers le xv> siècle.
■ Peuchet e t Chanlaire, 575, I, p. 25 (Aisne) ; Normand, 362, p. 90-97.
est un de ces faits d’influence flamande dont les exemples abondent
dans la vie économique de ces régions. On le place vers 1570. En
vingt ans, la nouvelle industrie s’était installée dans la ville et propagée
dans les environs. La « mulquinerie » supplanta la « sayetterie ».
Au lieu de drap, on fit des toiles fines, des batistes, des linons. Mais
l’initiative d’un artisan babile ne suffit pas à faire vivre sur une terre
nouvelle cette innovation. En réalité, les conditions du milieu,
matière première et main-d’oeuvre, s’y prêtaient. Le lin se trouvait
presque aux portes de Saint-Quentin ; à la fin du xvne siècle, on en
recueillait de bonne qualité dans le Vermandois; le canton de Moy
en produisait encore assez au début du xixe siècle pour en exporter
dans la Thiérache, dans le Nord et dans l’Orne : la culture locale
suffisait aux besoins de la fabrique. Seuls, les lins de fin, destinés
aux belles batistes venaient de la vallée de la Scarpe. La fabrique
disposait, en outre, de véritables trésors de main-d’oeuvre ; elle ne se
confinait pas dans l’enceinte de la ville ; mais elle se disséminait à
l’infini à travers les campagnes. Si la cité centralisait tout le travail
de blanchissage et d’apprêts et une partie du lissage, des milliers
d’ouvriers dans les villages s’occupaient du teillage, du rouissage, de
la filature et de la plus grande partie du tissage. C’est la culture qui
pendant l’hiver prêtait à la fabrique la réserve de ses bras. Cette
circonstance, plus encore que la proximité de la matière première,
était le principe vital de l’industrie Saint-Quentinoise ; car, lorsque
le lin disparut de ces campagnes, l’industrie n’en reprit pas moins
son essor avec le coton. A plusieurs lieues de Saint-Quentin, tous
les villages tissaient la toile ; dans les vallées de la Somme, de l’Oise
et de la Serre, les routoirs besognaient pour la ville; dans chaque
ménage, le rouet des paysannes donnait des fils fins et solides qu on
vendait aux mulquiniers. On filait, on tissait pour Saint-Quentin
jusqu’à Péronne, Chauny, La Fère, Vervins, Marie, Guise; en 1754,
1.826 métiers battaient dans 59 villages de l’élection de Saint-Quentin,
1.056 dans 82 villages de la subdélégation de Guise, 535 dans
19 villages de la subdélégation de Marie, 309 dans 31 villages de la
subdélégation de Vervins. Soutenue par cette main-d’oeuvre, la
fabrique atteignit une grande prospérité; à la fin du xvne siècle, elle
débitait .par an 60.0.00 pièces de toiles qui partaient pour Paris,
Rouen, Bordeaux, Bayonne, Lyon; pour la Flandre, l’Angleterre,
l’Italie et l’Espagne. Dans la seconde moitié du xvnf siècle, l’activité
redouble. En 1765, les industriels de Saint-Quentin lancent la gaze
de fil dont le succès dépasse leurs espérances. Vers 1780, la mode,
ayant délaissé les soieries, revint aux toiles fines; en 1784, il s’en