avant d’être « extirpée » et mise en culture, elle sépare les Veliocasses
des Bellovaci, et même encore au vie siècle la Neustrie de l’Austrasie ;
en disparaissant du sol, elle n’y a laissé qu’un résidu : son nom.
Au delà de l’Oise, vers l’Est et le .Nord-Est, s’étendait un
ensemble imposant de forêts, depuis les confins des Parisii jusqu’à
la Thiérache, couvrant les plateaux de calcaire grossier dont l’auréole
boisée se dessine autour de Senlis et de Soissons jusqu’à Laon.
On la désignait au Moyen Age sous le nom de Silviacum \ (La Cha-
pelle-en-Servais près de Louvres ; Servais, près de Laon.j Cette
forêt épaisse et compacte n’est pas complètement démantelée (forêts
de Montmorency, de l’Isle-Adam, de Carnelle, de Coye, du Lys, de
Chantilly, d’Ermenonville, de Hallatte, de Hez, de Villers-Cotterets,
de la Fère, de Dôle, de Compiègne, de Laigue, de Saint-Gobain, de
Goucy, de Bouveresse). Vers le Sud, elle se reliait à la Brie par les
forêts des bords de la Marne (Meaux, Livry, Bondy, Vincennes).
Vers le Nord elle se rattachait à la Thiérache par la forêt de Voes
qui bordait la rive gauche de la Serre. Le coeur de ce grand massif
d arbres était la Cuise, Cotia ou Coatia, Caucia sylva (Coucy,
Quincy, Cuissy, Cuisy, Choizy) ; elle présente encore ses deux subdivisions,
la forêt de Compiègne ou de Cuise (Cuise-la-Motte,,
Choizy-au-Bac) et la forêt de Laigue (Lisica). Par sa masse et par
ses dépendances elle séparait les Bellovaci des Suessiones. La montagne
de Clermont avec la forêt de Hez (La Neuville-en-Hez), les
bois d’Ageux, de Kierzy et d’Ourscamps dans la vallée marécageuse
de l’Oise, la montagne de Noyon avec les forêts de Beine et de Bouveresse
venaient sur la rive droite de l’Oise renforcer encore cet
épais obstacle. La forêt de Bouveresse s’étendit pendant longtemps
entre Saint-Quentin et Ribécourt; à l’Ouest, elle se prolongeait vers
Montdidier ; on l’y devine encore à la nature argileuse et sableuse du
sol, aux bois nombreux qui la rappellent et aux noms de lieux. A la
faveur des traînées sablonneuses éparses sur la craie entre Mai-
gnelay et Formerie, une bande forestière courait de l’Est à l’Ouest
entre le bassin de la Somme et le bassin du Thérain, séparant les
Ambiani des Bellovaci, joignait la Cuise aux forêts de Bray et d’Eu.
Une partie de la forêt de Bouveresse s’appelait Beines; en 1258 les
bois de Beines couvraient le pays de Vendeuil à Noyon ; leur défrichement
ne remonte qu’au milieu du xixe siècle; des villages portent
leur nom : la Neuville-en-Beine, Beaumont-en-Beine ; pas plus que
Thelle ou bien Arrouaise, ce mot ne désigne une région; il rappelle
1 Sur le Silviacum et ses dépendances, voyez Maury, 300, p. 52, 180 ; Melleville, 569,
I, p. 9-10. Actes du Parlement de Paris. Inventaire, I, n° 219.
l’étendue de Tancienne forêt. Ainsi, à mesure que s’éclaire la physionomie
forestière du pays, nous voyons entre les étendues boisées
prendre forme et s’étaler des domaines découverts, cadres des premiers
groupements humains ; ces lignes de forêts qui les protégeaient
ont été détruites en partie ; mais leur fonction de limites et de frontières
n’a pas pris fin avec elles ; par la force de la tradition qui est
l’habitude des peuples, elle s’est perpétuée sur leur emplacement
jusqu’à nos jours, et c’est aux mêmes endroits que nous reconnaissons
la marche forestière des Ambiani et des Bellovaci comme les
limites de^ diocèses de Beauvais et d’Amiens, du Beauvaisis et de
l’Amiénois, de l’Oise et de la Somme ; aux mêmes endroits la marche
frontière de Viromandui et des Suessiones, comme les limites des
arrondissements de Montdidier et de Compiègne.
Plus impénétrable et plus dense était la masse boisée qui couvrait
le Nord-Est de la France au Nord de la Serre. Limite des Viromandui,
des Atrebates et des Nervii, elle portait des différents noms :
Thiérache, Ardenne, Fagne, Charbonnière. La Thiérache, silva Teo-
racia1, confinait du côté de l’Est à l’Ardenne vers Avesnes et Couvain
; du côté du Nord, à la Fagne vers Maubeuge ; du côté du Sud,
à la Voes vers La Fère. On la retrouve par lambeaux à Wassigny,
Regneval, Aubenton, Saint-Michel^ Hirson, Nouvion. Longtemps
elle fut une forteresse naturelle respectée par les mouvements des
peuples : les Barbares s’écoulèrent par les grandes routes dont elle
était entourée ; au vne siècle, elle abritait les rois chassés ou vaincus.
Entamée dès l’époque Gallo-Romaine par les routes et par la culture,
elle ne fut profondément morcelée que par les défrichements monastiques
à partir du xne siècle (abbayes de Bucilly, de Saint-Michel,
de Clairfontaine, de Foigny, de Thenailles, de Montreuil, de Bohé-
ries).: La toponymie garde l’empreinte de l’ancien état forestier
(Colonfay, Landifay, Louvry, Voulpaix, Montceau-les-Loups, la
Haye et ses nombreux composés, Sart, Renansart, Pleine-Selve,
Pargny-les-Bois). La position de ces villages montre que la forêt
dépassait vers l’Ouest les limites de la région argileuse de la Thiérache
et qu’elle atteignait les bords de l’Oise aux environs de Guise,
de Ribemont et de La Fère ; avant d’être pénétrée et peuplée, elle
formait donc à l’Est du territoire des Viromandui une large barrière
au delà laquelle il fallait pousser très loin pour rencontrer les Nervii
et les Eburones. Mais, même morcelée, elle continue à désigner la
contrée. A la différence des forêts de Thelle, de Lyons et d’Arrouaise,
1 Sur la Thiérache, voyez Maury, 300, p. 185-190; Pêcheur, 573, I, p. 2-36, 37, 41, 44,
48, 88 ; Desnoyers, 399, p. 710-711.