L'idée paraît venir de Flandre. En 1608, des Flamands se chargèrent
de la fixation des dunes d’Ambleteuse1 ; leur exemple se
répandit sur toute la côte. Les plantations d'oyats et leur entretien
restèrent longtemps à la charge des populations riveraines ; ju squ’en
1830, les habitants de Neuchâtel, de Cucq, de Merlimont, de
Berck venaient chaque hiver dans les dunes regarnir d'oyats les
brèches ouvertes par les vents. A Saint-Quentin-en-Tourmont le
travail des dunes revenait au syndicat du Marquenterre. Mais faute
d’unité et d'entente, la moindre négligence pouvait entraîner des
accidents désastreux. A Condette, pendant la guerre de Succession
d’Espagne, les habitants, réduits à la misère, arrachèrent les oyats
pour se chauffer et nourrir leurs bestiaux ; bientôt des tempêtes de
sable ensevelirent des maisons et des fermes. Malgré l’institution
des gardiens d'oyats qui semble assez ancienne, le mal empirait;
en 1789, les cahiers de doléances des communes littorales réclamaient
des plantations d'oyats pour protéger les cultures. Les préfets s’inquiétaient
de ce danger public. En 1808, des arrêtés interdisent de
couper des oyats ; en 1810, un décret charge l'administration préfectorale
d’aviser à la fixation des dunes; enfin pendant tout le
xixe siècle, le conseil général du Pas-de-Calais subventionne les
plantations d’oyats2. Mais le progrès vint surtout de l’initiative
privée; avec le développement du goût de la chasse, les dunes devinrent
presque toutes des garennes particulières. Ce sont leurs propriétaires,
aidés par des subventions officielles, qui se chargent
maintenant des plantations ; chaque hiver, de Novembre à Avril, les-
ouvriers inoccupés des villages voisins de Saint-Quentin viennent
avec leur famille planter des oyats dans les dunes sous la surveillance
des garde-chasses.
La fixation des dunes apportait la sécurité, mais ne donnait aucun
profit. On essaya bien d’utiliser les oyats ; vers 1860, un ouvrier
belge, Jasper, établi à Rue, en fabriquait des paillassons; mais ce
fut une industrie éphémère. Les dunes servirent aussi de pâtures
aux bestiaux3, mais cet usage disparaît: l'herbe est trop dure; le
bétail se fatigue à gagner les dunes ; en été, il y souffre de la chaleur.
Au reste, les garennes s'entourent de clôtures. Partie du domaine
public jusqu'à la fin du xvif siècle, elles ont été divisées et subdivisées;
ce sont maintenant des propriétés d’agrément et des réserves
de gibier dont le prix d’achat s’est accru en cinquante ans dans une
1 Thélu, 275, p. 342.
2 Pas-de-Calais, 572, IV, p. 146-148.
3 Cartulaire du Ponthieu, p. 206 et 388. Thélu, 275, p. 367.
proportion considérable. Mais la plus-value vient surtout des étendues
qu’on a reboisées. A Merlimont, une garenne de 400 hectares
qui valait 16.000 francs en 1840, en valait 140.000 en 1877 après
reboisement; à Condette, 8S0 hectares estimés à 6.000 francs en 1818,
s’évaluaient à 700.000 en 1877h L ’essence employée pour le reboisement
est le Pin maritime. Rarement, comme à Condette, on a
planté des pins du Nord, des pins de Riga, des pins Laricio. La plantation
rencontre plusieurs obstacles : la violence des vents de mer,
un sol ingrat, des communications difficiles. Les semis commencent
par la partie la plus éloignée de la mer ; les uns se font en même
temps que les plantations d’oyats; d’autres, à 1 abri des oyats déjà
plantés et sous la protection de palissades formées de rameaux de
genêts et d’ajoncs, d’épines et de pins. La forêt ne couvre pas encore
toute l’étendue des dunes ; mais de larges masses de verdure revêtent
déjà en maints endroits l’aridité des sables, par exemple sur
Dannes et Camiers et en arrière de Paris-Plage. On traverse, à.
l’Ouest de Cucq, une forêt magnifique qui est la fortune de Paris-
Plage ; les sables portent de superbes pineraies, tandis que, dans les
bas-fonds humides et abrités, se pressent des bouleaux, des peupliers
et des saules; sur la lisière orientale de ce rempart forestier, la
petite culture avance pas à pas ; elle occupe d'abord quelques dépressions
sableuses ; puis elle s’enhardit et risque au milieu de la dune
quelques carrés de seigle, de pommes de terre et d asperges : c est
la marque de l’homme sur le sol et le début d’une occupation durable.
La correction des estuaires.
Chacune des rivières qui débouchent à la côte présente à son
estuaire deux établissements, l’un maritime, à l’embouchure; 1 autre
fluvial, au premier pont : la Bresle, Eu et le Tréport; la Somme,
Abbeville et Saint-Valery ; la Canche, Montreuil et Étaples. Menacés
de ruine par les progrès de l’ensablement, ces ports ont demandé
leur salut aux ingénieurs. A Étaples2, il n'exista jusqu au milieu du
xixe siècle aucun ouvrage maritime. L’accès du port gêné par la faible
profondeur de l’eau et par les sinuosités du chenal devenait de plus
en plus malaisé. Des travaux de redressement furent exécutés à partir
de 1863; on les terminait en 1899. Limité par deux digues submersibles,
l’une de 3.160 mètres à gauche, l’autre de 4.114 mètres à
droite, le chenal s’est approfondi au grand profit de la flottille de
1 Thélu,, 275, p. 369.
2 Pour la Gauche, voyez Ports maritimes 266, p. 317-333.