Jacquard; en 1884, 10.000 métiers faisaient concurrence à Lyon,
tandis que 10.000 autres travaillaient pour Saint-Quentin. Malgré la
proximité de cette ville, des métiers besognent encore pour Paris ;
maintes étoffes légères et délicates dont on vante le goût se tissent
encore dans l’atelier du paysan picard.
Les campagnes de la Picardie, de l’Artois, du Cambresis laissent
l’impression d’un immense réservoir de main-d’oeuvre où, durant des
siècles, les industries ont puisé. Il reste à savoir ce qui subsiste
aujourd’hui de ce curieux phénomène économique si intimement lié
aux conditions du milieu naturel et humain.
I I
LA. RÉPARTITION ACTUELLE DES INDUSTRIES CAMPAGNARDES
Comparée à ce qu’elle était encore au début du xixe siècle, l’extension
des industries campagnardes présente de larges vides. Le
nombre des ateliers ruraux décroît, en vertu de la loi fatale qui attire
la main-d’oeuvre à l’usine et l’usine à la ville. Mais ces nécessités
nouvelles n’ont pas eu entièrement raison des conditions locales qui
fixent l’atelier au sol. Nombreux sont encoreles villages de l’Aisne, du
Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme qui conservent des métiers;
le travail de la terre ne suffit pas a l’activité des paysans ; 1 exiguite
du domaine cultivé limite souvent leurs moyens de vivre ; aux produits
du champ s’ajoutent les ressources d’un métier. Cette humble
classe d’ouvriers ruraux ne connaît point l’indépendance et la sécurité
que donne aux travailleurs de la terre la propriété d un champ
assez étendu. Beaucoup d’entre eux, privés de leur métier d’hiver
par la concurrence de l’usine, ont émigré ; mais beaucoup d autres
aussi sont restés, n’ayant pu rompre leurs liens avec la terre natale.
Lorsqu’il, n’existe pas dans le voisinage d’industrie régnante ni de
centre distributeur d’ouvrage, les occupations de la main-d’oeuvre
paysanne présentent parfois la variété la plus ingénieuse et la plus
inattendue.
Les petits métiers paysans.
Dans la région de Doullens, on peut voir vers 1 automne des
troupes d’hommes et de femmes tourner et retourner le lin qui rouit
sous la rosée ; on rouit plus de lin qu’on n’en récolte; cette occupation
est la survivance d’une époque encore toute proche où toutes ces
campagnes vivaient de la culture et du travail du lin. Dans certaines
vallées humides, c’est l’osier qui retient la main-d’oeuvre ; à Maries,
sur la Canche, et dans quelques communes des bords de l’Authie, la
grosse vannerie fait vivre de nombreuses familles; les paniers se
vendent aux Halles de Paris. Autour de Ribemont et de Sissy, sur
1 Oise, les oseraies étendent sur la vallée leur nappe verdoyante ; on
confectionne, non plus la vannerie fine comme en Thiérache, mais des
paniers à champagne, et surtout les mannes, les corbeilles, lès paniers
dans lesquels s’expédient les prunes et les cerises de Noyon et de
Laon. Ailleurs, ce sont les carrières qui fixent les ouvriers au village
; à Camblain-l’Abbé et dans le voisinage, les ménagers qui ont
fait la moisson pendant l’été passent l’hiver à extraire et à déhiter les
grès tertiaires ; à Matringhem, on exploite les grès primaires ;- à Coi-
gneux près de Doullens, 50 ouvriers sont employés de Novembre à
Juillet à tirer du sol les silex d’empierrement ; enfin, dans la région
betteravière,- il n’est guère de sucrerie qui n’ait besoin de plusieurs
personnes pour extraire la craie. Certaines campagnes ont même vu
luire 1 esperance d un âge d’or ; dès la découverte des phosphates,
une foule de ménagers quittèrent le métier à tisser pour courir aux
carrières ; entre Roisel et Albert, la disparition de l’industrie textile
suivit de près le « rush » du phosphate. Les gisements épuisés,
beaucoup reviennent au tissage. Partout le paysan cherche à s’occuper
pendant la mauvaise saison ; souvent il passe d’un article à l’autre
quand il y trouve son profit.
Certaines industries causent des surprises au voyageur par leur
caractère insolite; à Neuvillette, petit village au Sud-Ouest de
Doullens, une vingtaine d’ouvriers forgerons fabriquent à la main
des clous pour chaussures; les clous se font un à un, mais au
bout de la journée ils forment un total de 1.800 à 2.500; jadis,
tous les jeudis, on venaitles vendre à Doullens ; parfois les villageois
les portaient sur les marches d alentour; aujourd’hui, la production
baisse, mais elle n’a pas disparu et l’on peut voir encore dans les
ateliers les chiens qui tournent dans leur roue pour animer les
soufflets des forges. A Maucourt, dans le Santerre et à Mory près
de Croisilles, on confectionne des fouets; à Ruyaulcourt, des
articles d’horlogerie pour Paris; à laNeuville-sur-Oudeuil près de
Marseille, des tirants fulminants en carton. A Esclainvillers, les
tourneurs sur bois, réduits au chômage, font des chaussons de
lisière. A Lucheux, la forêt attire des sabotiers, des bûcherons, des
charbonniers. A La Faloise végètent encore quelques cloutiers. A
Lignières-Châtelain, à Lamaronde et à Souplicourt, on fait des
brosses en crin; àFouencamps, on tisse des joncs pour la fabrication