se développa : près de Marseille-le-Petit beaucoup de villages ne lui
furent gagnés qu’entre 1760 et 1780 ; autour de Saint-Just-en-Chaus-
sée qui longtemps avait fabriqué de la toile, on fit des bas à partir de
1750. De gros villages, tels que Campeaux, Morvillers, Feuquières,
Grandvillers, Haute-Épine ont vécu, de longues années, du commerce
de la bonneterie; à Haute-Épine, les jolies maisons de bois
qui bordent la route rappellent les négociants enrichis qui centralisaient
les produits du travail paysan et les expédiaient sur Rouen et
Paris.
Mais le pays d’élection de l’industrie badestamière fut le Santerre ;
au xvme siècle, elle y absorba toute la main-d’oeuvre. Elle opérait
en pays presque neuf; la sayetterie ne s’y était pas implantée aussi
solidement qu’autour de Grandvillers ; on n’y pratiquait pas le tissage
de la toile; la ville d’Amiens fabriquait toutes ses étoffes et n’en
avait pas encore obtenu la dispersion dans les campagnes. Entre les
toiles de Saint-Quentin, de Doullens et d’Abbeville et les serges d’Au-
male, de Poix, de Grandvillers, de Crèvecoeur, de Songeons, de Marseille
et de Froissy, il existait donc un espace presque libre où les
tisseurs se trouvaient plus clairsemés, moins spécialisés, moins attachés
à une tradition- industrielle. Cette main-d’oeuvre disponible, des
commerçants Parisiens, les frères Saint, curent l ’idée de l’utiliser ;
ils lui confièrent d’abord la filature des laines que jusqu’alors (1720)
ils tiraient de Flandre toutes filées ; l’expérience ayant réussi, ils fondèrent
en 1745 au Plessier-Rozainvillers une manufacture de bas. Ils
avaient alors toutes les chances de succès : un riche approvisionnement
de laines brutes en Hollande, en Pologne, dans le Berry et le
Soissonnais ; une main-d’oeuvre abondante pour le filage et le tissage ;
un débouché tout prêt au Canada. L’industrie ne tarda pas à s’étendre
j usqu’à Amiens, Breteuil, Saint-Just, Montdidier, Roye, Nesle, Authies,
Albert, Doullens. En 1785, elle comprenait 7.650 métiers presque
tous répandus dans les campagnes : 30 à Amiens, 80 à Abbeville et
140 dans son rayon, 200 à Montdidier, 400 à Rosières, mais 1.500
disséminés dans l’Amiénois et 5.300 dans le Santerre; avec les
fileuses', elle faisait vivre au moins 30.000 personnes. Le travail était
réparti par les gros négociants de Méharicourt; de là, les objets
fabriqués s’expédiaient à Paris, à Lyon et surtout à Rouen. Quelques
villages avaient autant et même plus de métiers à bas que de feux;
parfois le métier retenait l’homme toute l’année et l’on en rencontrait
qui battaient au fort de la moisson. Mais à partir du milieu du
xixe siècle, la concurrence de la bonneterie anglaise, la fermeture de
débouchés comme l’Espagne, le Portugal et l’Amérique firent baisser
le nombre des métiers ; la bonneterie déserta toute la contrée située
entre le Thérain et la Noye, les environs de Saint-Just-en-Chaussée,
de Montdidier et de Roye ; aujourd’hui nous la trouvons localisée
entre l’Avre, la Noye et l’Ancre, mais enrichie depuis l’invention des
métiers circulaires en 1856 par de nouvaux produits, le tricot de
laine, le gilet de chasse, les fichus, les châles, les jupons, à côté desquels
les bonnets et les bas ne forment plus que l ’accessoire.
Les bonnetiers de Picardie ne travaillaient pas seuls pour Paris
et Rouen. Encouragés par la réputation des tisseurs des environs de
Saint-Quentin, les fabricants de Rouen établirent vers 1804 la fabrique
des Rouenneries, tissus de coton en blanc et en couleur, dans les
campagnes qui s étendent entre la Somme et l’Oise aux environs de
Flavy-le-Martel1. La rouennerie remplaça bientôt la toile dans les
métiers d’hiver; vers 1820, sur les cantons de Saint-Simon, de Guis-
card, de Ham, elle occupait 5.000 tisseurs et 3.000 fileuses; elle
s’avançait même au Nord jusqu’àThenelles et Origny-Sainte-Benoîte,
à 1 Ouest jusqu aux abords de Roye. Les Rouennais payaient dans
le pays, à Guiscard, à Ham, à Cugny, à Flavy-le-Martel, des contremaîtres
qui recevaient le coton etle distribuaient dans les campagnes;
trois fois par semaine, des voitures partaient de Flavy-le-Martel où
elles avaient amené le coton brut pour porter à Rouen les cotons tissés
et filés. Aujourd hui les Rouenneries ont disparu de la fabrique picarde.
Jusqu’en 1762, Bohain et ses environs avaient tissé pour Saint-
Quentin. En 1762, un industriel de Paris, Santerre, introduisit à
Fresnoy-le-Grand la fabrication de la gaze de soie ; Bohain devint
bientôt le centre de ce travail qui rayonna sur Homblières, Étaves,
Roupy, Seboncourt. La mode qui avait apporté cette étoffe la remporta.
Mais dans les premières années du xixe siècle, l’expédition
®STPte ayant donne 1 idee d imiter les châles en cachemire de l’Inde,
des maisons de Paris demandèrent à la fabrique de Bohain des châles
soie et laine et des châles de cachemire pur ; elles y installèrent des
contremaîtres a qui elles expédiaient, pour être distribués aux tisseurs,
les laines préparées, les soies teintes et les dessins des étoffes ;
ce nouvel article rayonnajusqu’à Fresnoy-le-Grand, Étaves, Seboncourt,
Becquigny, Origny-Sainte-Benoîte, Ribemont, Vaux-en-
Arrouaise et même dans l’arrondissement de Cambrai; en 1811, il
occupait plus de 3.000 tisseurs, 6.000 dévideuses et autant d’enfants
appelés tireurs, et brocheteurs; mais, la mode ayant changé, Bohain
se tourna sur les tissus similaires de ceux de Lyon, vers les velours
IV 1 S,ULF.la;Ty"le'Martel etBohain> voyez : Goet, 520, II, p. 441 ; Dupin, 339, II, p . 112 :
icard, 363, II, 137,237. Rouit, 368, p. 221 ; Brayer, 506, p. 311, Chambre de commerce...,333.