en bourre de soie imités des articles de Lyon. La liste des échantillons
ne cesse pas de s’accroître. De 1818 à 1830, c’est le règne des
mousselines brochées en couleurs, guingamps, zéphyrines, brillantés
teints, façonnes a carreaux et a l'aies, plumetis en couleurs, nan-
snuks, percales brillantes, jaconats façonnés, croisés, cretonnes,
satins, cravates brochées, fichus en couleurs, etc... En 1867, ce sont
encore les mêmes articles. Mais la concurrence ne tarde pas à faire
des victimes; déjà en 1863, les mousselines et gazes brochées avaient
souffert de l’entrée des guipures anglaises; en 1867, elles rencontrèrent
sur le marché les mousselines brodées de la Suisse. En 1876,
la concurrence suisse supprime la fabrication des tissus unis, genre
mousseline et menace les nansouks et jaconats. Les cotonnades pe rdaient
du te rra in ; à côté des articles qui longtemps avaient eu la
vogue, on adopta d autres produits venus de l’étranger : la lingerie,
la broderie, la guipure. La souplesse du milieu industriel permit leur
acclimatation rapide. Mais, à peine établis, ils durent se défendre
contre les guipures anglaises et allemandes, contre la lingerie allemande,
contre les broderies suisses et saxonnes. Les produits sont
à la merci d’un faible droit de douane ou d’une faible différence de
revient. En 1883, les Américains ayant haussé leur tarif, la broderie
subit de grosses pertes. En 1883, tandis qu’on renonçait à expédier
des tulles et des dentelles en Russie et en Turquie, on pouvait les
vendre dans l’Amérique du Sud; en 1890, l’Amérique du Sud ne
reçoit plus de tissus de coton, mais elle demande de la lingerie.
Rien de mobile et d’incertain comme les conditions du marché. Aussi,
c’est par une ju ste appréciation des produits à adopter et des commandes
à satisfaire que la fabrique de Saint-Quentin a conquis et
maintenu sa position dans la grande industrie.
La main-d’oeuvre rurale.
Malgré ces obligations, elle gardait d’étroites attaches avec le
milieu local. Si 1 on réfléchit que d’autres villes étaient mieux pourvues
en matière première, en force motrice, en moyens de communication,
on doit penser que la grande ressource de Saint-Quentin
provenait de la main-d’oeuvre rurale ; ce fut très longtemps le
cachet original de cette région industrielle ; il n’est pas encore effacé
aujourd’hui. L’industrie de la toile avait laissé disponible une telle
quantité de cette main-d’oeuvre que l ’industrie du coton n’avait pu
tout employer. Dès le début du xixe siècle, à côté des tissus de coton,
nous voyons beaucoup d’autres industries venir chercher fortune
sur l’ancien domaine de la toile et s’y installer fort à 1 aise. A
Bohain et dans son rayon, à Fresnoy-le-Grand, à Ëtaves, à Ribe-
mont, à Seboncourt s’établit la fabrication des étoffes soie et laine et
des châles cachemire auxquels succédèrent les étoffes genre de Lyon.
En 1804, autour de Flavy-le-Martel, de Guiscard et de Ham, se
répandaient les rouenneries. Vers lE s t, autour de Guise, de Marie,
de Sains, du Nouvion, de La Capellé, de Solesmes, de Caudry.
d’Avesnes réapparaissaient les étoffes de laine. Dans toutes ces campagnes,
le moindre village travaillait aux étoffes. Autour de Saint-
Quentin jusqu’à 30 et 60 kilomètres, on tissait le coton; en 1843
cette industrie occupait 18.000 ouvriers et 6.000 femmes et enfants.
Nous Verrons que les métiers campagnards sont devenus moins
nombreux; mais la fabrique de Saint-Quentin possède encore des
ouvriers au village ; tous n ’ont pas émigré à la ville. L ancienne
solidarité entre la cité et le plat pays s’affaiblit, à mesure que la cité
concentre chez elle les organes de l’industrie; mais il ne faut pas
oublier que la fabrique est née de cette solidarité et que ses ouvriers
urbains sont les fils des anciens tisseurs de village.
IV
LA FABRIQUE D'AMIENS
Tandis que la fabrique de Saint-Quentin passait successivement
du drap à la toile au xvi6 siècle et du lin au coton au xixe siècle, la
fabrique d’Amiens, plus fidèle à ses traditions, n’abandonnait pas la
laine. Aux raisons naturelles, régime des eaux et élevage du mouton,
qui expliquent la localisation de l’industrie lainière à Amiens, il faut
ajouter, pour comprendre sa fortune et son essor, l’abondance d e là
main-d’oeuvre. Autour d’Amiens, comme autour de Saint-Quentin
gravitait une masse vivante, énorme réserve de travail. Pendant des
siècles, les gens des campagnes filèrent la laine ; il était au xvme siècle
encore tels villages du Vimeu, du Ponthieu et de 1 Amiénois qui sur
cent feux ne présentaient pas dix laboureurs et dont les habitants
travaillaient en majorité à alimenter de fils les métiers à tisser la
laine. Partout, jusqu’à Poix, Aumale, Grandvillers et Crèvecoeur,
des métiers battaient pour les commerçants d’Amiens. Cette énergie
rurale est à la source de la fortune industrielle d’Amiens ; elle l’a
soutenue durant de longues années et ne l’apas encore complètement
abandonnée.