porte par laquelle ils entraient à Crépy conservait encore au
xvne siècle le nom de « Porte aux Pourceaux ». Tous ces marchands
ramenaient avec eux les épices que les Italiens avaient apportées de
Venise et d’Alexandrie, la garance, l’alun, les cuirs, les armes,
l’ivoire et surtout les vins de France. Cette voie de commerce mériterait
le nom de « Voie du vin » ; sur tout le trajet, les villes
picardes, entraînées dans ce courant d’affaires, entreprirent le commerce
de vin pour la Flandre; Roye> Amiens, Saint-Quentin, Laon
devinrent des entrepôts par où passaient les vins du Poitou, de l’Orléanais
ou de la Bourgogne ; parfois de grandes et belles caves voûtées
évoquent le souvenir de ce trafic. Lorsque le Centre et l’Ouest de
la France devinrent anglais, les vins du Poitou abandonnèrent la
route de terre et s’embarquèrent à La Rochelle ; les vins de Gascogne
et de Guyenne vinrent par Bayonne; la route de mer était plus économique.
Mais les vins de Bourgogne continuèrent de prendre la
route de terre. Finot note une curieuse survivance de cette double
origine ; tandis que les arrondissements de Dunkerque et d Haze-
brouck, et, en Belgique, la Flandre occidentale et orientale garnissent
leurs caves de crus bordelais, la partie méridionale du département
du Nord, le Hainaut belge, le Brabant, Liège et Namur
préfèrent les grands vins de Bourgogne.
Toute cette circulation, très active surtout au xme siècle, passait
par Bapaume. Là se trouvait un péage très ancien et très important
où se percevait un tonlieu sur toutes les marchandises qui de Flandre
allaient en France, Champagne, Bourgogne, Provence, Italie,
Espagne ; là se croisaient les anciennes routes romaines de Soissons,
de Reims et d’Amiens à Cambrai, Douai et Arras ; c’était le noeud
des relations entre le Nord et le Midi. En des périodes troublées,
cette situation avantageuse n’allait pas sans quelque insécurité.; les
détrousseurs de grand chemin, protégés par la forêt d’Arrouaise
dont Bapaume gardait la lisière, rendaient ces parages fort dangereux
: il fallait organiser une police. Cette oeuvre de sauvegarde était
réalisée à la fin du xie siècle. A partir de cette époque, la sécurité de
la route fut un constant objet de sollicitude pour les souverains de
la contrée. En 1417, Jean sans Peur promettait de veiller à ce que
les marchands flamands ne rencontrassent aucun empêchement « aux
passages d’Artois ». Le péage de Bapaume existait encore en 1685.
Mais depuis longtemps le transit international s’était éteint; la guerre
de Cent Ans avait rompu les communications par terre entre la
Flandre et le Midi; de plus, le développement de la navigation à
partir du xive siècle avait amené les flottes vénitiennes dans les mers
du Nord. Bapaume ne conserva plus qu’un commerce régional.
Le trafic à longue portée qui avait déserté les passages d’Artois
et de Picardie y est revenu de nos jours grâce aux canaux et aux
chemins de fer. Nul pays ne se prêtait mieux aux nouveaux moyens
de transport ; sur ces plaines, pas de pentes rapides, peu de rampes
à ménager, pas de travaux d’art coûteux ; dans les vallées, pas de
rivières à discipliner, pas de chutes brutales ; de vallée à vallée, pas
de seuils élevés à franchir, peu d’écluses à construire; partout la
certitude d u n e circulation facile et rapide. D’autre part, la production
industrielle de l’Angleterre et des Pays-Bas, la croissance de
Paris, la prospérité des fabriques picardes, les progrès de la culture,
1 exploitation des houillères du Nord, tout faisait espérer un énorme
trafic.
Les voies d’eau.
G est à la vallée de la Somme qu’on songea d’abord pour assurer
les communications de la Picardie avec l ’extérieur. On voulait en
faire non seulement l’artère du commerce local, mais encore la
grande voie de pénétration vers le coeur de la France, le trait d’union
entre la mer qui devenait le grand chemin des importations et des
exportations et les centres de, consommation de l’intérieur. La brillante
fortune du port d’Amiens jusqu’à la fin du xvme siècle semblait
justifier cet espoir. L’état d e là Somme n ’était pas parfait; des
hauts fonds entravaient le passage des bateaux à Pont-Remy, à Long,
à Picquigny et de Montières à Amiens. Mais autrefois le mauvari
entretien des routes de terre faisait la fortune des rivières. La
Somme avait toujours été fréquentée depuis son embouchure jusqu’à
Amiens. Les habitants de Corbie et d’Amiens devaient à Philippe-
Auguste l’autorisation d’y naviguer librement1. En 1191, les seigneurs
riverains renoncèrent au lagan ou droit de bris. Au xme siècle,
« les maistres du métier de l’eau » d’Amiens détenaient tout le commerce
fluvial. Amiens recevait d’Angleterre des métaux et des laines
et lui expédiait des vins. Les quais étant devenus insuffisants, on
construisit un grand quai depuis le Pont du Quai jusqu’au pont de
la Bretesque 2. Mais comme les canaux sortant de la ville provoquaient
à leur confluent des courants dangereux, les bateaux, après
avoir franchi le pont d’aval, devaient être amenés au bord de la
grève à l’aide d’un treuil. Malgré ces inconvénients, l’activité com-
1 Beauvillé, 477, IV, p. 38.
8 Galonné, 510, I, p. 200-202 ; II, p. 363.