cités. Ce n’est pas sans surprise que, sur cette terre souvent divisée,
partagée et dépecée, on reconnaît encore parmi les limites contemporaines
les contours des premiers groupements. Depuis la Sambre
jusque vers Bapaume en passant par Busigny et Le Câtelet, on peut
suivre au doigt la ligne invariable marquée par les lambeaux de
l’Arrouaise, le long de laquelle se succédèrent au nord les Atrebates
et les Nervii, les diocèses d’Arras et de Cambrai, le Cambrésis et
l’Artois, les départements du Nord et du Pas-de-Calais; au Sud, les
Virbmandui et les Ambiani, les diocèses de Noyon et d’Amiens, le
Vermandois et l’Amiénois, les départements de l’Aisne et de la
Somme. Entre la Sambre et l’Oise, au milieu de la forêt de Thié-
rache qui marquait les confins du Nervii et des Remi, s’est perpétuée
la limite du Hainaut et duLaonnais, du Nord et de l ’Aisne. La limite
du Laonnais et du Rémois s’est conservée intacte pendant quinze
siècles et figure encore sans grandes modifications comme limite de
l’Aisne et des Ardennes. Parallèlement aux hauteurs recouvertes par
les forêts de Beine et de Bouveresse et sur lesquelles les Ambiani,
les Yiromandui et les Bellovaci réunissaient leurs frontières, nous
suivons de Ham à Montdidier les limites du Noyonnais et du Vermandois,
du Beauvaisis et de l’Amiénois, puis celles de l’Oise et de
la Somme. Enfin, sur les plateaux boisés qui séparent la Somme du
Thérain, de Montdidier à Aumale, couraient jadis les frontières des
Ambiani et des Bellovaci, puis celles de l’Amiénois et du Beauvaisis,
enfin maintenant celles de la Somme et de l’Oise. Partout le présent
porte l’empreinte du passé; et, sans qu’ils s’en doutassent peut-être,
les hommes de 1789, en respectant les habitudes provinciales, obéissaient
à des traditions plusieurs fois séculaires : c’était comme une
« surimposition », sur les limites anciennes, des limites nouvelles.
Dans la division départementale, l’argument historique l’emporte
donc sur toutes les raisons tirées d’une unité naturelle et d’une
parenté physique. Nous en avons deux exemples frappants dans le
Vimeu1 et dans le Bas-Artois 2. Le pays de Vimeu réclamait pour lui
seul un district. Le plaidoyer de ses habitants met en lumière l’originalité
de sa nature. C’est, disaient-ils, le canton le plus riche de
Picardie pour son commerce de chevaux, de laines, d’étoffes, de
toiles, de lin, de serrurerie, de bonneterie ; il ne le cède pas au San-
terre pour le blé. Ses villages sont populeux, et, chose remarquable,
plus on s’éloigne d’Oisemont, moins la population est dense, si ce
* Arch. Nat., Div bis, 17 (290, 13 et 28).
1 Arch. Nat., Div bis 12 (245, 30).
n ’est vers la Manche et vers Abbeville ; du côté d’Amiens, il faut
parcourir des lieues entières sans trouver une habitation ; vers
Aumale, le Vimeu est séparé de la Normandie par des vallées où les
chëmins sont impraticables, par des bois et des forêts « en sorte qu il
paraît avoir des bornes naturelles » ; il possède sa coutume locale;
c’est un canton vraiment détaché de ses alentours et qui peut revendiquer
à bon droit son autonomie. Maigre toutes ces raisons, le
Vimeu fut attribué au district d’Abbeville; bien plus, une partie de
son territoire fut donné au district d’Amiens.
Le Bas-Artois ou pays de Saint-Omer, d’Audruick et de Calais
est physiquement une partie du bas pays flamand, de la région des
watteringues.; Un mémoire de l’époque constate qu’en effet toute
cette région dont les canaux s’écoulent vers la Flandre est l’esclave
des écluses flamandes et qu’elle dépend naturellement de la Flandre ;
il propose de réunir toute la zone littorale çn un département qui
serait parallèle à la côte au lieu de lui être perpendiculaire comme le
Nord ; il proteste contre le principe qui, pour maintenir l’intégrité de
l’Artois, va réunir au département d’Arras des cantons qui en sont
si différents et si éloignés. Cette proposition échoua, comme toutes
celles qui auraient eu pour conséquence de sacrifier les anciennes
provinces et d’en bouleverser les limites. Ainsi les considérations
géographiques sont demeurées étrangères à la division départementale;
l’histoire et la tradition eurent le dernier mot; rien d’étonnant
si, après un siècle d’activité économique qui par la création de nouveaux
rapports et de nouvelles ressources a déplacé les centres
d’action et fait surgir d’autres groupements, la division départementale
paraisse artificielle et surannée.
A la suite de ce travail d’analyse, portons sur la carte les seuls
noms de pays et les seules divisions territoriales qu’il soit légitime
d’y laisser. Il s’en présente deux catégories : les départements et les
pays.
L’emploi des dénominations départementales résulte d’une nécessité
pratique ; succédant à d’autres divisions administratives qu’elles
ont supplantées, elles partagent notre région de craie en compartiments
rigides où tout peut exactement se localiser : Aisne, Nord,
Oise, Pas-de-Calais, Somme. Mais en aucune manière, cette division,
pas plus que l’ancienne, ne peut fournir un cadre à la description
géographique qui repose sur les conditions naturelles.
Parmi les unités naturelles, le Vimeu et le Santerre correspondent
à de riches terroirs agricoles, d’une mise en valeur originale.
Une autre, que nous avons décrite isolément, se dispose le long de la