CHAPITRE XI
L E S IN DU S T R I E S URBAI N E S
I. Les origines locales de l ’in d u s trie tex tile . — IL Les fabriques déchues .
Beauvais, A rra s, Abbeville, C am b ra i. — III. La fab riq u e de Saint-Quentin.
Les toiles. Les étoffes de coton. La v a rié té des p ro d u its. La m a in -d oeuvre
ru ra le . —■ IV. L a fabrique d ’Amiens. Les étoffes de la in e . Les débouchés. La
fab ric a tio n . Les m a tiè re s p rem iè re s. L a v a rié té des p ro d u its. Les in d u strie s
ré c en te s.
Dans les plaines agricoles comprises entre l’Ile-de-France et la
Flandre, les industries reflètent par leurs origines et leurs traditions
la nature du sol qui les porte. Cette région bordée par une côte
inhospitalière ne connaît pas les industries exotiques que la facilité
des transports localise dans les cités maritimes. Elle n’enferme en
ses profondeurs aucun combustible, aucun minerai dont l’extraction
ait fait éclore à la surface les noires agglomérations de la métallurgie.
Sur cette terre habituée aux moissons, on ne rencontre pas
ces traînées humaines dont l’âme et la force résident tout entières
dans la machine. L’atelier et l’usine de ces campagnes conservent
encore quelque couleur locale, quelques attaches avec le sol. La
distribution géographique de l’industrie dans cette contrée ne donne
évidemment pas l’impression d’un domaine fermé vers le dehors ;
les voies ferrées, les canaux, le bassin houiller voisin, la proximité
de la Flandre et de Paris, d’antiques relations de commerce ont eu
forcément leur part d’influence dans l’organisation de la vie industrielle
et dans l’évolution de ses mouvements internes. Mais l’empreinte
native demeure vivace et profonde. Elle apparaît d’abord dans
cette forme originale du travail industriel qui s’accomplit au domicile
même du paysan, dans ces ateliers ruraux, où, pendant les trêves de
besognes champêtres, on entend battre le métier du tisseur et grincer
la lime du serrurier. Elle apparaît aussi dans les villes dont les
industries se rattachent encore au milieu agricole, ou perpétuent
le souvenir de conditions locales aujourd’hui disparues ; il semble
que, dans ce pays de culture, la terre ait modelé toutes les formes de
l’activité humaine.
LES ORIGINES LOCALES DE L ’INDUSTRIE TEXTI LE
A Amiens, à Arras, à Beauvais, à Saint-Quentin, à Abbeville,
l’industrie est née du milieu local. C’est l’elevage du mouton dans
ces campagnes crayeuses qui a décidé la vocation des « villes
drapantes ». Les bêtes à laine trouvaient autrefois dans les jachères
et dans les friches des domaines des parcours étendus , elles donnaient
a la culture de très gros revenus. Pour filer la laine, la main-
d’oeuvre abondait dans les campagnes; nous savons qu’on filait
beaucoup jadis au foyer du villageois. L industrie n avait pas à
redouter la disette de matière première ; elle se trouvait aux portes
d’un pays qui pouvait la lui fournir : les laines anglaises qui approvisionnaient
Lille, Bruges, Ypres, Bruxelles, Valenciennes, parvenaient
aussi à Saint-Omer, à Arras, à Abbeville, à Amiens, à Beauvais,
à Reims.
Mais la fortune industrielle de presque toutes ces villes provint
surtout de leur situation sur des rivières propices à la teinture des
étoffes; ce fut là, jusqu’à ces dernières années, une condition essentielle
aux progrès de l’industrie textile ; elle fixa pour longtemps dans
les mêmes villes le commerce des étoiles. Les transports étant longs
et coûteux, chaque ville drapante possédait ses ateliers de teinture. A
Saint-Quentin1 qui avait ses draperies dès 1195, on trouvait la rue
des Foulons et la rue de la Teinturerie; dans les villages voisins
fonctionnaient de nombreux moulins à guède; un compte de 1323
nous donne le détail des taxes perçues sur la vente des guèdes.
Autour d’Arras2, on cultiva la garance jusqu’à la fin du xve siècle;
dans la ville même, les eaux du Crinchon, plus abondantes qu aujourd’hui,
se prêtaient au travail des teinturiers.Mais aucune rivière
ne pouvait pour la qualité des eaux rivaliser avec le Therain, ni
avec la Somme ; leur cours attardé sur un fond plat permet à 1 eau
de séjourner à l’air et de circuler lentement en perdant sa crudité.
Beauvais et Amiens s’étaient disposées pour jouir de cet avantage
naturel; les ateliers des teinturiers et des foulons s y pressaient au
bord des canaux où s’écoulait la rivière ; dans les deux villes, ce
quartier industriel, à moitié aquatique, avec ses ruelles étroites bor-
1 Picard, 363, 1, p. 42-43, Lemaire, 571, I, CXXXII.
! Parenty, 364 bis.