lation de galets forme une digue naturelle, haute de 7 à 8 mètres,
épaisse parfois d’un kilomètre, sans laquelle ils seraient submergés
aux marées d’équinoxe. Parfois la mer eut des retours furieux 1
(1742,1793), mais la digue a tenu bon et des travaux l’ont consolidée.
Le galet, arrêté dans sa marche par la baie de la Somme, s’amasse
sur la rive gauche. C’est là qu’on vient lê ramasser pour l’expédier
aux fabriques de produits céramiques2. On en peut voir sur les quais
de Saint-Valery de grands monceaux prêts à partir pour l ’Angleterre,
la Russie, la Suède, la Hollande ou bien par le canal pour Creil*
Sarreguemines et l’Allemagne. Le galet céramique constitue le principal
fret de retour des rares bateaux qui touchent à Saint-Valéry.
Tous les galets ne conviennent pas également à la fabrication de
1 email. La bonne variété, composée de quartz assez pur, ne se trouve
que dans la proportion de 10 à 15 p. 100 ; elle exige un triagè. De
grands radeaux de bois partent de Saint-Valery et s’abandonnent
pendant 8 kdomètres au courant de la marée descendante qui les
porte et les dépose au pied de la digue du Hourdel. Le ramassage se
tait vite; pendant cinq heures, on ne perd pas une minute; car
bientôt la mer monte, remet à flot le radeau et lè ramène chargé à
Saint-Valery, après une lutte parfois dangereuse contre les courants
de dérive et les coups de vent.
En arriéré des bancs de galets qui bordent la mer, s’échelonnent
d autres bancs qui, depuis la falaise morte jusqu’à la plage actuelle,
marquent-les étapes du recul du rivage. Tout au long de cette falaise
continentale, on peut suivre tantôt les lambeaux, tantôt la continuité
d un ancien cordon littoral dont les sables, les coquilles et les galets
couvrent les premières pentes de la colline. On les exploite par
exemple au pied de la route de Saint-Valery au bourg d’Ault, tout
près de Bru telles, et le chemin s’y enfonce dans le gravier sableux.
Passons au Nord de la Somme. On les trouve entre la Somme et
Authie, puis entre l’Authie et la Ganche : la commune de Groffliers
y a établi ses carrières de prestations. Entre ce cordon littoral extrême
et le rivage actuel, on en observe d’autres ; ce sont des éminences
isolées qui s’élèvent à 8 ou 10 mètres au-dessus des Bas-Champs.
Les paysans les appellent des prucqs ou pruques ; les carrières de
cailloux roulés sont des pruquières (ferme de la Pruquière, à l ’Ouest
du Vieux-Quend). c es buttes marquent dans le relief; en arrivant à
Rue par le Sud, la route traverse l ’une de ces buttes par une montée
assez raide. La disposition de ces îles de cailloux réflète l ’histoire de
1 Puyraimont, 267, p. 270.
2 Dueroquet, 245, p. 259-268.
leur dépôt. Elles ne se sont pas toutes formées à égale distance de la
côte; elles en sont inégalement éloignées parce que la force des
rivières qui débouchaient à la mer était inégale ; devant la Somme,
la plus puissante des trois, les bancs de galets furent repoussés à
1 Ouest (banc du Crotoy, Mayoc et Saint-Firmin) ; devant la Maye,
ils se maintiennent plus près de la terre ferme (bancs de Lannoy, de
Larronville, de Flandre) ; devant l’Authie, ils se sont de nouveau
écartés (bancs de Quend, du Muret). L’inégalité de puissance des
trois rivières fait aussi que les bancs sont inégalement rejetés à droite
et à gauche de leurs éstuaires : les eaux de la Somme, plus volumineuses,
les refoulèrent sur leur droite jusqu’à Vercourt, au delà des
anciens étangs de Rue et du Gard; plus faible, l’Authie les garda plus
près d’elle, dessinant une anse moins étendue sur l’emplacement des
marais de Villers1 (Voir la carte n° II).,
C est autour de ces bancs de galets que se déposèrent peu à peu
les sédiments plus légers ; ils furent les premiers points émergés où
s’amorça le comblement, comme autant d’îlots que les alluvious successives
soudèrent peu à peu. Aujourd’hui encore ils forment les
parties élevées et sèches d’une région dont les bas-fonds ne furent
desseches que très tard. Dans l’économie rurale, ils s’opposent sous
le nom de « foraines » aux terres plus fertiles, mais argileuses et
humides qui garnissent les dépressions. Souvent ils portent des
garennes; en 17/2 2, la garenne de Rue étendait encore ses broussailles
sur une colline de galets et de sables entourée de marécages.
Les garennes ont été en grande partie défrichées, et elles composent,
dans les exploitations, des terres maigres, très exigeantes en engrais,
mais protégées contre les inondations. Naguère encore, les « foraines »
de Sallenelle, de Brutelles, de Laleu, de Pendé, de Tilloy, de Saint-
Valery étaient couvertes de bois et de taillis; mais aujourd’hui, ce
sol leger est la terre de prédilection des légumes et surtout des carottes
que Saint-Valery expédie sur Boulogne et sur Rouen.
Le rôle de ces anciens bancs de galets a été précieux pour l’établissement
des villages et des routes dans ce pays toujours humide
et mal égoutté. Monticules elevés et secs, ils fournirent des emplacements
aux habitations. Les plus élevés ont reçu le Vieux-Quend,
Quend-le-Jeune, Flandre, Herre, Montcourt, Rue, Saint-Firmin,
Mayoc, Le Crotoy, Cayeux ; les moins élevés portent Villers, Bretagne,
Favières, Le Hamelet, Hurt, Wathiéhurt; au pied même de
1 ancienne côte, on rencontre la Mottelette, Romaine, Romiotte,
' Pour les anciens cordons littoraux, voyez Ravin, 270 passirn ; Leflls, 560, p. 7-9.
2 Arch. Nat. R1 96, 683.