canal de la Somme de Saint-Simon à la mer, il fut ouvert en 1824
de Saint-Simon à Ham, en 1825 de Ham à Péronne, en 1826 de
Péronne à Amiens, en 1827 pour le reste, excepté la traversée
d’Abbeville (1835)i. De Saint-Simon à Saint-Yalery, s’étendait une
belle voie navigable de 156 kilomètres, d’un mouillage de 2 mètres,
présentant peu d’écluses. En réalité, elle- était condamnée à l’inaction
par l’état de la baie de la Somme. Depuis un siècle, on lutte
vainement contre l’ensablement. Le commerce s’éloigne des estuaires
picards vers des ports profonds, bien abrités, bien outillés. La
Somme, perdue à jamais comme voie de transit, se soutient à peine
comme voie locale. Par une curieuse interversion de sa destinée,
elle n’est plus qu’un émissaire ou bien un modeste affluent de la
grande artère navigable de la région, le canal de Saint-Quentin qui
joint l’Escaut à l’Oise. Si l’on considère le tonnage moyen ramené
à la distance entière, la Somme, de Saint-Simon à Amiens, a transporté
205.324 tonnes en 1900 ; d’Amiens à Saint-Yalery 26.428
(canal de Saint-Quentin, 4.606.048). La décomposition du tonnage
effectif donne le vrai caractère de cette voie de la Somme. Le trafic
de Saint-Yalery à Amiens (70.000 tonnes en 1900) reste fort en arrière
du trafic de l’autre tronçon (539.590 tonnes en 1900, d’Amiens à
Saint-Simon) : c'est à l’Est que se trouvent la véritable entrée et la
véritable issue. C’est vers l’Est, vers le canal de Saint-Quentin que
s’expédient surtout les phosphates, les betteraves, les sucres de la
Somme ; par contre, c’est surtout la houille qui alimente le trafic
descendant (140.000 tonnes sur 240.000 2) ; c’est elle surtout qu’on
débarque au port d’aval et au port d’amont d’Amiens ; c’est pour
elle que des travaux d’amélioration ont été entrepris en 1900 aux
écluses de Montières et de la Breilloire, afin de permettre aux
péniches du Nord de circuler jusqu’à Abbeville et d’y faire pénétrer
les charbons belges. Le port d’Abbeville recevant la vie par l’Est, quel
paradoxe pour les hommes du xvme siècle ! On avait rêvé pour la
Somme le rôle autonome d’une voie de pénétration vers l'intérieur
de la France; en fait, elle est une ramification du canal de Saint-
Quentin, une voie tributaire et subalterne. La vallée de la Somme,
privée d’un bon port, ne pouvait devenir l’une des portes de la
France.
Yers l’époque même où tout le monde renonçait au projet de
faire delà Somme une grande route commerciale, une série d’événe-
' Statistique..., 371.
* Les chiffres sont empruntés à la Statistique de la navigation intérieure. 372. Cf.
Comptes rendus des travaux delà Chambre de Commerce d’Amiens, 329.
ments économiques aboutissait, dans le Nord de la France et dans
la Belgique, à la création d’un foyer industriel d une telle intensité
qu’il dépassait ce qu’on avait pu voir aux beaux jours du Moyen
Age. La houille prit une telle place dans l’industrie qu’on se préoccupa
immédiatement de la transporter loin et à bon marché. De là,
le projet de joindre par un canal la région houillère de Valenciennes
à la région parisienne. JVÎais quel tracé adopter? Au Sud, 1 Oise était
le chemin naturel vers Paris. Au Nord, deux routes se présentaient
vers Yalenciennes : la Haute-Sambre et la Haute-Somme. La route
par la Somme paraissait la plus difficile à ouvrir, parce qu il fallait
percer par un souterrain le plateau qui sépare l’Escaut de la Somme
entre Bellicourt et Yendhuille. La route par la Sambre semblait tracée
par la nature ; la Sambre et l’Oise coulent en sens inverse dans
une même dépression ; la démarcation de leurs bassins y demeure
assez indécise pour qu’on ait pu sans peine détourner vers l’Oise la
Haute-Sambre; en 4684, les ducs de Guise détournèrent en effet, par
une digue construite près du moulin de Boué, la rivière qu’on appelle
aujourd’hui l’ancienne Sambre et jetèrent ses eaux dans le Noirieu,
affluent de l’Oise1 ; le seuil était donc facile à franchir pour un canal ;
une fois la Sambre atteinte à Oisy, on l’aurait jointe à l’Escaut par
la Selle ou par l’Écaillon ; mais ce projet, examiné à fond en 1801,
fut abandonné parce qu’on craignit de ne pas avoir assez d’eau au
point de partage de la forêt de Mormal, parce qu’il fallait construire
trop d’écluses et parce qu’aucune ville importante ne se trouvait sur
le tracé2. On adopta donc le canal de l’Oise à l’Escaut par la Somme.
Déjà de 1750 à 1788, on avait amélioré l ’Escaut en aval de Camb
ra i; déjà depuis 1738, l’Oise était jointe à la Somme p a rle canal
Crozat, de Chauny à Saint-Quentin ; il restait à joindre Saint-Quentin
et Cambrai. On inaugura les travaux dès 1801 ; on creusa le
tunnel de Riqueval sur 6.676 mètres et le canal fut ouvert à la circulation
en 1810. Le commerce s’en empara aussitôt. En 1825, il y
passait 1.797 bateaux dont 1.540 chargés de houille; sur les
1.200.000 hectolitres de houille transportés, il n’en resta que 230.000
dans l’arrondissement de Saint-Quentin : dès ses débuts, le canal de
Saint-Quentin apparaissait avec les caractères qui le distinguent
encore : il transportait surtout de la houille et il la transportait surtout
en transit3. Depuis cette époque, le tonnage s’est accru dans des
proportions énormes; en même temps, le tran sita considérablement
' Matton, 338, p. 21.
! Dutens, 340, I, p. 431-485.