liées d’eau, avec ses centaines de petits ponts jetés sur les bras, formait
le cadre pittoresque d’une riche industrie.
A Beauvais, les eaux du Thérain servirent très tôt au lavage des
laines et à la teinture ; elles diminuaient la rudesse des étoffes et
faisaient valoir leurs couleurs. Dès le xie siècle, il existait à Beauvais
un moulin à foulon; en 1173, l’évêque reçut de l’abbé de Saint-'
Quentin l’engagement d’en construire trente en cinq ans ; en 1195,
l ’un des premiers moulins à foulon remontait déjà à une époque assez
ancienne pour tomber en vétusté ; la plupart de ces moulins se trouvaient
du côté du faubourg Saint-Jacques ; une rue leur devait le
nom de vicus molendinorum ; au xive siècle, il y avait un vicus tinc-
tuariorum1. Au milieu du xviii8 siècle encore, toutes les étoffes d’un
large rayon industriel, d’Hanvoile, de Glatigny, de Mouy, de Bli-
court, d’Aumale, de Tricot, de Sarcus, de Crèvecoeur affluaient à
Beauvais pour recevoir l ’apprêt et le lustre*; en 1719, il y venait
même des toiles de Bapaume et de Saint-Quentin8 ; après la chute
des étoffes de laine, les toiles de Bulles recevaient encore le blanchissage
à Beauvais.
Amiens était la vraie patrie des teinturiers. Grâce à la Somme
et aux rivières voisines, la Noyé, l’Avre et la Selle, elle devint un
immense atelier de teinture et d’apprêt pour les étoffes écrues. Ni
Saint-Quentin, ni Beauvais ne pouvaient l’égaler pour l’abondance
et la qualité des eaux. Au xme siècle4, elle centralisait le commerce de
la guède; la corporation des guédiers, dont la munificence orna la
cathédrale, étendait ses relations en Angleterre, en Écosse, en Allemagne,
en Flandre. Pour fouler les draps et broyer la guède, les
rivières se couvrirent de moulins dont les documents historiques
relatent la construction au cours des siècles. Après la teinture des
draps et des serges, Amiens s’occupa de teindre les velours de coton,
les velours d’Utrecht; les procédés se transformaient, mais la tradition
's’y perpétuait à travers les transformations industrielles.
En 1825, Amiens donnait l’apprêt aux toiles du Nord et de la Belgique,
aux rubans de Quevauvillers, aux escots fabriqués dans
l’Oise, aux étoffes de Tricot. En 1834, Beauvais, Mouy, Roubaix,
Reims lui envoyaient cinq millions de francs d’articles pour la teinture,
l’apprêt et l’impression. Amiens teint encore les velours qui
1 Labande, 552, p. 201-212.
2 Mahu, 354, p. 384.
3 Arch. Somme, G, 153.
4 De Galonné, 510,1, p. 206-207 ; Beauvillé, 477, II, p. 91, 117, 206 ; Bréard, 507, p. 102-
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sont sa spécialité et les tissus que les maisons de Paris font fabriquer
dans l’Aisne1 ; mais de toutes parts des rivales la menacent et la
dépossèdent. Quoi qu’il en soit, c’est à des conditions naturelles que
l’industrie textile doit sa fortune première dans les villes ; elle y
trouvait les installations nécessaires à la préparation complète des
étoffes. Mais la destinée de toutes ces villes ne fut pas pareille. Chacune
s’est différenciée selon les circonstances locales. Les unes,
Arras, Abbeville, Beauvais, Cambrai, n’ont pas conservé leur industrie
textile. Les autres, Amiens et Saint-Quentin, ont pu s’adapter
à de nouvelles nécessités et demeurer de grands centres de fabrique.
II
LES FABRIQUES DÉCHUES
Beauvais, Arras, Abbeville, Cambrai.
Les villes drapantes du Nord de la France se trouvaient fort rapprochées
les unes des autres. Les chemins devenant plus nombreux
et plus faciles, il était inévitable que les mieux pourvues et les mieux
placées l’emportâssent sur les autres. A Arras trop proche des
Flandres et à Beauvais trop proche de Paris, toutes deux trop voisines’
d’Amiens, l’industrie drapière dut succomber. Elle, disparut
d’Abbeville pour les mêmes raisons. A Cambrai, la toile s établit ;
. mais elle quitta bientôt la ville pour la campagne. Au contraire, à
Amiens et à Saint-Quentin, l’une au coeur de la Picardie, l’autre
assise sur la route de Paris en Flandre entre la vallee de 1 Escaut et
la vallée de l’Oise, l’industrie textile résiste ; elle a tiré parti des
progrès techniques, des matières premières nouvelles, de ses ressources
en main-d’oeuvre ; entre le centre flamand et le centre parisien,
la fabrique de Saint-Quentin e tla fabrique d Amiens maintiennent
leurs positions.
Au Moyen Age, le commerce des draps avait enrichi Beauvais ;
la ville entretenait des relations avec le Lendit et surtout avec les
foires de Champagne ; vers la fin du xme siècle, ce débouché s étant
fermé, elle envoyait ses draps vers l ’Angleterre et vers Rouen-. Mais
Beauvais souffrait d’une mauvaise situation géographique ; des
régions très industrieuses, comme la Normandie et la Picardie, la
1 Chambre de Commerce d’Amiens 1838 et 1901. Boyer, 505, p. 77.
2 Labande, 552, p. 201-212.