dénombrement indique des terres tenues en petites pièces par plusieurs
personnes à petits cens. En 1435, sur le territoire de Sàint-
Acheul, 106 journaux 85 verges, accensés la plupart pour planter
de la vigne, se divisent en 110 portions. A Esclainvillers, 30 journaux
accensés avant le xve siècle à une seule personne et déjà partagés
en six pièces à cette époque, se subdivisent au xvme siècle en
66 tenure s1. Nous possédons quelques études de détail qui nous permettent
d’apprécier l’extension de ce phénomène au xvme siècle.
Dans le Laonnais, avant la Révolution, la propriété paysanne occupe
environ le tiers du territoire; le chiffre des articles des rôleà étant
de 10595, le nombre des paysans-propriétaires s’élevait à 6.911.
Dans l’Artois, les biens du clergé et surtout les biens de l’abbaye de
Saint-Waast avaient retardé ses progrès sans pouvoir les empêcher;
on en observe la marche lente, mais progressive, dans le tableau
suivant dont nous empruntons les éléments à M. Loutschisky2 :
Propriétaires-paysans :
en 1569. en 1779.
Neuville S a in t-W a a s t............................................... 138 190
R o c lin e o u rt..................... 39 59
T h é lu s ..................... 70 93
Étendue de la propriété paysanne :
(En mencaudées de 40 ares 91).
en 1569. en 1779.
N e u v ille -S a in t-W a a s t 609 676
Roclineourt. . ............................................................... 130 185
T h é lu s .......................................................................■ • • 130 294
L’étendue relative de cette propriété paysanne reste encore
modeste ; à Neuville-Saint-Waast, elle est 7 fois plus petite que l’étendue
des terres appartenant aux ecclésiastiques, aux nobles et aux
bourgeois, 5 fois à Roclineourt et à Thélus ; mais elle se vulgarise,
se dissémine; à Neuville-Saint-Waast, on comptait alors 215 paysans
propriétaires contre 37 propriétaires non paysans 3. Cette masse de
petits propriétaires paysans s’accrut encore par la vente des biens
nationaux pendant la Révolution. Dans le district de Laon, sur
1 Roux, 586, p. 254 et 259.
1 Loutschisky, 436, p. 105-107.
3 Gimel (411, p. 112) montre qu’à Autremencourt (Marie) et Parfondeval (Rozoy) la
petite propriété ilorissait de tous côtés en 1789. Ainsi à Autremencourt, sur 98 contribuables,
62 payaient moins de 5 livres, 29 de 5 à 25 livres, 7 de 25 à 376. A Parfondeval,
sur 221 contribuables, 153 ou 70 p. 100 payaient moins de 5 livres, 61 ou 27 p. 100
payaient de 5 à 25 livres, 7 ou 3 p. 100 payaient de 25 à 175 livres.
43.000 à 44.000 arpents vendus en 1791 et 1792, les populations de
village en acquirent plus de 23.200. A partir de 1793, les terres
acquises par la classe exclusivement agricole représentent 57 p. 100
des terres du clergé restant à vendre ; les villageois représentent
88,5 p. 100 des acheteursl . En Artois surtout, les paysans trouvèrent
une large disponibilité dans les biens ecclésiastiques : cette assimilation
s’accomplit aisément, car ces biens se sont vendus tels que les
fondations pieuses les avaient établis, pièce par pièce, morceau par
morceau; parleurs dimensions, ils étaient à la portée du paysan.
Ces achats de terre par la classe paysanne supposaient des capitaux.
En fait, la petite culture les possédait ; elle les devait en grande
partie aux petites industries rurales. C’est le métier d’hiver qui
avait empli « le bas de laine ». Les archives de la Somme du xvne et
du xviii8 siècle nous révèlent de nombreuses ventes de terre faites à
des manouvriers et à des tisserands2. Dans le Laonnais, au xvme siècle,
sur un total de 5.383 propriétaires fonciers, on compte 913 purs
laboureurs, 1.218 manouvriers, 1.140 artisans3 ; ces manouvriers et
ces artisans, ce sont, en termes modernes, les ouvriers agricoles, les
tisseurs à domicile si nombreux encore au début du xixe siècle. Dans
les ventes des biens nationaux, nous les voyons se disputer les
lambeaux de cette terre qu’ils convoitent; en 1791 et 1792, le
le nombre des acheteurs sortis de cette liumhle classe égale presque le
nombre des purs cultivateurs. Leurs acquisitions sont bien modestes
13 p. 100 contre 68 pour les lab oureurs4; mais lopin par lopin ils
constituent un patrimoine, un héritage. Leurs efforts se continuent
sous nos yeux; ils amassent et ils achètent toujours. Ce sont eux
qui par leur passion de la terre contribuent à en maintenir le
prix élevé; ils offrent d’une parcelle deux fois ce qu’elle vaut;
les propriétaires se laissent tenter et dépècent leurs champs. Aux
environs de 1885, pendant la crise agricole dont les grands fermiers
souffrirent tant, on a vu ces- propriétaires renoncer à louer
leurs domaines en bloc pour les découper et les vendre en détail, à
bon compte, aux petits propriétaires. Le fait a été très fréquent dans
la Picardie et l’Artois ; comme les achats d’engrais et de matériel
avaient ruiné beaucoup de grandes exploitations, les ouvriers de
campagne et les. petits cultivateurs devinrent locataires et souvent
acquéreurs des terres abandonnées. A Inchy-en-Artois, depuis vingt
* Loutschisky, 437, p. 84 à 106.
* Arch. Somme B, 956, 957, 1104, 1224,1227, 1229, 1230, 1231, 1235, 1255.
3 Loutschisky, 436, p. 100-107.
1 Id., 437 p . 66.