des exemples et des leçons d’autrui ; elles accroissent leurs moyens
d’action pour la lente conquête de la terre ; peu à peu se complète cet
assouplissement, cette domestication du sol qui est la marque propre
de ces régions si anciennement cultivées.
II
LES PRODUITS DE LA CULTURE
Par leur fertilité spontanée et par leurs qualités acquises, les
terres de la Picardie, de l’Artois, du Cambrésis et du Beauvaisis
sont devenues capables des productions les plus riches et les plus
exigeantes. Pendant le Moyen Age, la Flandre y puisait une partie de
sa consommation de blé; au x v i i0 et au xvme siècles, Paris s’approvisionnait
à leurs marchés. A partir du xvi° siècle, à la culture du blé
s’ajouta la culture en grand des plantes oléagineuses et textiles, au
xixe siècle celle de la betterave à sucre. Mais cette évolution des cultures
n’est pas uniquement subordonnée aux conditions locales ; elle
dépend aussi de facteurs lointains. « La facilité croissante des communications
incorpore les moindres villages au marché du monde
et les soumet aux lois de la concurrence universelle*. »
L’évolution des cultures.
Le travail agricole n’est plus confiné dans son milieu immédiat;
il dépend parfois de circonstances étrangères à ce milieu. Par un
exemple précis on peut s’en convaincre. La crise agricole de 1884-
18852, qui fut commune à toute la France, affecta particulièrement la
région du Nord parce qu’elle atteignit les trois productions sur lesquelles
reposait la culture du pays : les céréales, la betterave à
sucre et la laine. Par suite du bas prix de revient et du bon marché
des transports, les céréales étrangères, surtout celles des Ltats-Unis,,
de l’Inde et de la Russie, envahirent notre marché. La Russie nous
envoyait 1.530.005 quintaux métriques de hlé en 1872, 2.636.369, en
1884; les États-Unis, 196.366 en 1872, 2.969.110 en 1884; l ’Inde,
79.652 en 1878, 1.620,192 en 1884. Le cours du quintal de hlé qui
avait atteint une moyenne de 31 fr. 13 dans la période de 1871-1875
tomba à 20 francs en 1885. Un instant les cultivateurs se demandèrent
s’il ne leur faudrait pas renoncer au blé, comme jadis au
1 Vandervelde, 462, p. 320.
* Leloup, 296 et Enquête... 285.
colza et h l’oeillette devant la concurrence des graines d’Inde et
d’Afrique, ou bien au lin et au chanvre devant la concurrence des
textiles russes. La culture de la betterave à sucre résistait elle-même
malaisément contre les sucres primés d’Autriche-Hongrie, d’Allemagne
et de Belgique ; la production sucrière de l’Allemagne sautait
de 271.000 tonnes de 1.000 kilogrammes, année moyenne, pendant
la période 1871-1875 à 1.155.000 tonnes en 1884 ; celle de l’Autriclie-
Hongrie de 154.000 à 540.000 ; naturellement les sucres blancs, cotés
à la Bourse de Paris 67 fr. 50 en 1881, descendaient à 39 francs en
1886 ; aussi beaucoup de cultivateurs cambrésiens, délaissant la betterave,
se tournaient vers la chicorée. Enfin les laines d’Australie
arrivaient en masse dans nos ports, tandis que les moutons du San-
terre et du Yermandois ne trouvaient plus place sur les marchés de
la Villette à côté des moutons hongrois et danubiens.
Cette crise ébranla profondément la condition de la culture. Dans
la région d’Arras, les baux à ferme se contractèrent avec une diminution
de loyer de 15 à 50 p. 100. Dans la circonscription du comice
agricole de Laon, on constata l’abandon de 135 fermes représentant
5.114 hectares; dans celle de Marie, l’abandon de 17 fermes avec
2.270 hectares et de 116 fermes avec 5.563 hectares, sans compter
1.603 hectares qu’on laissa en friches. Il fallait à tout prix s’adapter
aux nécessités nouvelles imposées par la concurrence. Sans parler
des mesures législatives, on prit le parti de transformer les cultures ;
par endroits, on mit en chicorée des champs naguère ensemencés en
betteraves; ailleurs, sur les confins de la Normandie et de la Thié-
rache, des terres à blé devinrent des pâtures ; ailleurs enfin, dans le
Haut-Boulonnais, on développa l’élevage des porcelets ; on vit même,
ce qui parut un scandale aux vieux paysans, le blé et le seigle servir
de nourriture aux animaux. Il paraît donc impossible aujourd’hui
d’envisager la production agricole comme un phénomène local conditionné
par le sol et le climat. L’exploitation la plus productive n ’est
pas seulement celle qui sait accroître ses rendements sans accroître
ses frais, mais aussi celle qui sait régler sa production sur la concurrence
et prévoir la capacité de ses débouchés. Delà, dans nos contrées,
l’instabilité des cultures, la disparition de la vigne, la déchéance
des graines oléagineuses et des textiles, l’existence inquiète de la
betterave à sucre ; de là, sur le même terroir, l ’évolution de la culture,
de la production des céréales vers la production de la viande ou
vers la production du lait.
Par cette adaptation méthodique des produits à la terre, de la
terre aux produits, nos terres du Nord offrent à la fois les cultures