les phosphates et les sucreries, ces campagnes comptent parmi les
plus obstinées, les plus fidèles au travail à domicile.
Autour de Cambrai, tous les villages filaient pour les toilettes, les
batistes et les linons. Le tissage, d'abord confiné dans l’enceinte de
Yalenciennes et de Cambrai, s’affranchit, on ne sait trop à quelle
époque précise, de la protection urbaine; au début du xixe siècle, il
résidait presque exclusivement dans les communes rurales. En 1801,
10.395 métiers, répandus sur 104 communes,, tissaient des toiles
fines1. Cette dispersion paraît s’être précipitée surtout à la fin du
x v i i i 0 siècle, parce que le Cambrésis jouissait au point de vue de
l’impôt de certains privilèges qui rendaient plus douce la condition
matérielle des tisserands. « Les villages, dit un texte de 1780, sont
peuplés de laboureurs ou mulquiniers ou tisserands qui font des
batistes, claires ou linons. Ils se sont retirés dans le Cambrésis, où
les vivres de toute nature sont à meilleur marché qu’ailleurs, parce
que les habitants de cette province ne paient aucune imposition sur
leurs boissons; l’usage du sel blanc y est libre, de même que le commerce
des tabacs2. » Au temps de la plus grande activité, certaines
communes occupaient jusqu’à 400 métiers; de nos jours, on n’en
voit plus que dans une vingtaine de villages.
Dans les campagnes d’Abbeville, dans le Ponthieu et surtout le
Vimeu, on tissait non plus lestoiles fines, mais les toiles communes3 :
toiles d’emballage, toiles à sacs, à matelas, à voiles, toiles de
ménage, nappes et serviettes : elles avaient supplanté au xvme siècle
les étoffes de laine. Yers 1750, on en fabriquait 60.000 à 70.000
pièces, valant environ 4 millions délivrés. Les cultivateurs, devenus
tisserands pendant la trêve des travaux champêtres, manufacturaient
le chanvre et le lin de leur petite propriété; leur métier, ne fonctionnant
que huit à neuf mois, fournissait 15 pièces chaque année ; si l’on
songe qu’il fallait 3 fileuses pour entretenir le métier et 3 enfants
pour préparer le textile, on peut se faire une idée de la population
nombreuse qui vivait autour des métiers. La terre ne produisait
même pas assez de lin pour occuper tous les bras vacants ; le Yimeu
en achetait à l’Artois et à la Flandre et le revendait tout filé à la
Normandie. Mais les beaux temps sont passés; les grosses usines
ont accaparé la filature ; les métiers de toiles à voiles ont souffert
depuis le développement de la marine à vapeur; et surtout la culture
des plantes textiles succombe devant la concurrence étrangère. On
1 Dieudonné, 536, p. 278-280, donne le nom de tous les villages.
3 Cité p a r Combier. Mém. Soc. Emul. Cambrai, XXV, p. 253.
3 Martin, 355, p. 232-235. Dupin, 339, I, p. 143-157. Louandre, 564, I), p. 378-379.
tisse encore des toiles dans la Basse-Picardie ; mais l’antique domaine
est beaucoup amoindri; il se condense autour d’Airaines et d’Hallen-
court.
Les serruriers da Vimeu. Les badestamiers du Santerre.
Les tisseurs de Flavy-le-Martel et de Bohain.
La plus grave atteinte portée à l’industrie de la toile est venue
d’une autre industrie, d’origine obscure, la serrurerie1. On attribue
son établissement dans le Vimeu à un horloger allemand qui vint se
fixer à Escarbotin. C’est en 1636 qu’on trouve pour la première fois
mention de la famille Maquennehem qui fut probablement l’initiatrice.
Mais il faut attendre la fin du x v i i 6 siècle et le commencement du
xvme siècle pour rencontrer dans les archives de nombreux noms de
serruriers. Gette industrie paradoxale, qui n’a près d’elle ni fer ni
charbon, put vivre parce qu’elle disposait d’une abondante main-
d’oeuvre ; elle recruta ses ouvriers parmi les tisserands ; elle les
attira progressivement par la facilité du travail et par ses profits. De
nos jours, elle tient encore une place prépondérante dans le milieu
rural du Vimeu.
Si beaucoup d’industries rurales gravitaient autour des villes du
pays, d’autres recevaient le mouvement et la vie de centres éloignés
comme Paris ou Rouen. Ainsi naquit au début du xvne siècle la bonneterie
de la ine2. Cette fabrique rurale est à la fois l’une des plus
anciennes du pays puisqu’elle fonctionnait en même temps que la
sayetterie, et. l’une des plus vivaces puisqu’elle dure encore. Autour
de Grandvilhers, de Formerie, de Crèvecoeur et de Breteuil, les
mêmes villages s’adonnèrent longtemps à la fois à la sayetterie et à
la bonneterie. La bonneterie, grâce à ses produits de nécessité plus
vulgaire et de placement plus certain, dépendait peu de la mode et
redoutait moins les crises; maintes fois, elle recueillit l’héritage de la
serge et de la toile. Les bonnets et les bas, tout en laine peignée, dite
estame, se faisaient d’abord à l’aiguille ; vers 1700, l’emploi des
métiers vulgarisa beaucoup la bonneterie dans les campagnes ; mais
elle ne régna sans partage qu’après la chute de la sayetterie. Dans le
canton de Grandvillers, par exemple, c’est en 1812 seulement qu’elle
1 Briez, 326.
5 Sur la bonneterie, voyez : Graves, 545 (1850) p. 113-115; (1840), p. 109-110 ; (1836),
p. 87 et 141 ; (1833), p. 98 ; Boyer, 505, p. 388-393. Recueil manuscrit consulté à la Ch. de
Comm. d’Amiens, p. 41, 91,130; Beauvillé, 476, II, p. 297 et ssq. ; Pilian, 577, p. 391-394.
Arch. Somm. C. 109, 196, 233, 268, 341.