alimenta longtemps les manufactures d’Amiens et de Beauvais. Au
xme siècle, les abbayes trouvaient un gros revenu dans la vente et
l’emploi des toisons de leurs brebis1. Au xiv° siècle, les laines d’Artois
se vendaient à. Saint-Omer et dans la Flandre avec les laines
d’Angleterre ; sur les domaines d’un grand agriculteur artésien de
cette époque, on comptait de nombreux bergers, 2 à Roquetoire, 3 à
Sailly, 3 à S à Bonnières : ce qui suppose de grands troupeaux. On
élevait le mouton surtout pour sa laine; dès 1332, on signale au
domaine d’Avesnes-le-Sec des brebis d’Inde, probablement des moutons
de cachemire, importés pour leur fine toison2. Mais les laines
du pays restèrent toujours communes;-elles ne convenaient pas aux
étoffes fines pour lesquelles on leur préférait les laines anglaises. Au
xvii0 et au x v i i i 0 siècles, pendant le grand essor des fabriques picardes,
on devait demander à l ’étranger les sortes les plus délicates. Vers
1786, l’importation des mérinos donna par croisement de beaux
résultats. Le nombre des moutons s’éleva vite. En 1852, le Pas-de-
Calais en nourrissait 350.000, le plus haut chiffre qu’il ait atteint3.
En 1825, l’Aisne en possédait de 650.000 à 700.000 ; tous les ans, il
y avait à Saint-Quentin une foire aux laines où l’on venait d’Amiens,
de Reims, de Sedan; et le premier mercredi de chaque mois se
tenait à Blérancourt un grand marché de moutons4. En 1844, certaines
fermes voisines de Saint-Quentin s’occupaient presque exclusivement
de l’élevage du mouton ; à Aubigny, près de Ham, l’une de
ces fermes avait 1.240 moutons ; une à Rougemont 1.300 ; une à Noroy
900; une autre à Guise 1.000 5.
Mais l’élevage du mouton, qui semblait être ici sur un terrain propice,
a suivi depuis cette époque une évolution curieuse qui est en
rapport avec l’évolution de la culture. Dans ce pays défriché, et
labouré, les champs occupent presque toute l’étendue du territoire;
les terres « vaines et vagues » sont rares. Or, le mouton est le
bétail des vastes domaines à culture extensive, à larges parcours ;
les défrichements de rideaux et de riez, les partages de communaux,
1 es progrès des cultures lui ont enlevé tout l’espace. Lorsque les
jachères furent envahies par les cultures fourragères et industrielles,
il vit encore son domaine se rétrécir. On dut le confiner davantage
à l’étable ; la laine perdit ses qualités. Déjà à la fin du x v i i i 6 siècle6,
1 Roger, 584, I, p. 143.
1 Richard, 309, p. 570-582.
3 Pas-de-Calais, 572, IV, p. 293-299.
1 Brayer, 506, II, p. 129-133.
5 Mém. Soc. Acad. Saint-Quentin, 1844, p. 180-181.
" Arch. Somme, C, 268.
on constatait que la laine des moutons du Santerre, si bien dégraissée
qu’elle fût, restait toujours jaune « parce que le mouton demeurait
trop longtemps à l’étable. et pas assez à l’air, et parce qu il n était
pas assez nourri d’herbage »; les laines étrangères étaient beaucoup
plus fines, plus blanches, mieux disposées àla teinture. Vers la
même époque, Arthur Young1, qui observa beaucoup de troupeaux
autour de Saint-Quentin, d’Arras, de Poix et d’Aumale, conclut que
le Berry seul en France fournit de là bonne laine. Aussi lorsque les
laines d’Australie et de la Plata arrivèrent sur notre marché, elles
firent tomber à 1 fr. 03 le kilogramme de laine qui valait encore
3 fr. 50 entre 1850 et 18602 ; il fallut renoncer à élever le mouton
comme bête à laine.
On chercha dès lors à mieux adapter le mouton au milieu agricole;
il devint avant tout une bête à viande. A la fin du xvme siècle,
on ne pratiquait pas encore cette spéculation. On vendait les bêtes
à des marchands qui les menaient dans le Vexin ou dans la Brie
pour l’engraissement. Ceux qui restaient dans le pays, mal nourris
et mal soignés, faisaient si maigre figure, qu’Arthur Young en souffrait
dans son coeur d’Anglais. Il fallait donc transformer tout le système
d’élevage. L’extension des prairies artificielles inaugura le progrès.
Puis on s’efforça de multiplier le mouton flamand sur les
exploitations de Picardie et d’Artois ; là, cet animal, à la laine grossière,
mais gros mangeur, très apte à donner de la viande et du
poids, retrouva des terres fortes capables de lui fournir de grosses
nourritures ; des croisements avec des moutons anglais accrurent
encore ses tendances à l’embonpoint ; avec la pulpe de betterave,
on disposa d’un nouvel aliment. Le mouton n’est plus un animal de
grand air, mais un animal d’étable. Du côté de Montreuil et de Saint-
Omer, on le met bien encore au parc de la fin de Juin à la fin d Octobre
; mais dans les exploitations de culture intensive où la terre
est rarement nue, on ne l’y maintient que d’Août à Octobre quand
les champs sont libres; le reste du temps, il séjourne à la bergerie.
L’engraissement au pâturage n’existe plus guère que sur les prés
salés des bords de la Somme, de l’Authie et de la Canche dont
l’herbe donne au mouton une chair tendre et parfumée. Partout
ailleurs, il demeure sédentaire la plus grande partie de l’année. Le
développement des centres urbains et des stations balnéaires encourage
la culture à poursuivre cette spéculation. Aussi ne peut-on pas
Young, 592, III (do Casaux),p. 66 et. ssq.
Pas-de-Calais, 572, IV, p. 293-299.