Santcrre, la ïhiéraclie, le Bray; d’autres enfin, plus jeunes, le
Nord, le Pas-de-Calais, la Somme, l’Aisne, l’Oise. Dans celte poussière
de territoires, il faut sélectionner ceux qui ont droit à l’existence
parce qu’ils correspondent à une réalité concrète et vivante;
les autres sont des survivances du passé , ou bien des créations
politiques et administratives d’un moment, ou bien même des imaginations
de savant; il importe donc d’examiner toutes ces divisions
du sol pour déterminer leur valeur géographique1.
I
LA PICARDIE
Le mot « Picardie 2 » n’a pas un sens géographique. De signification
politique, il n’en eut point tout d’abord; durant de longs
siècles prévalurent les noms d’Amiénois, de Beauvaisis, de Laonnais,
de Noyonnais, de Ponlhieu, de Vermandois ; ce sont ces termes que
les rois de France emploient en 1054, 1071, 1315, pour convoquer à
l’armée les vassaux de la couronne8. Le mot Picardie n’apparaît
qu’au xive siècle dans la terminologie administrative. Jusqu’alors il
avait désigné le territoire où l’on parlait picard et qui fut comme le
front de bataille du Roman contre le Flamand, de la langue française
contre la langue germanique.
1 M. Gallois a donné plusieurs excellents exemples de la méthode .à suivre pour la
critique géographique des noms de pays. 1° Le Bassigny, Etude d’un nom de pays.
A. de G. 15 mars 1901. 10® année, p. 115-123. 2° La Woèvre et la Raye. Etude de noms
do p ay s. A. do G. 15 mai 1904. 13® année, p. 207-223. 3® Une région naturelle française.
Le pays de France. Communication faite au Congrès intern. des sciences historiques.
Rome 1904, 8 pages.
5 On ignore l’origine du mot Picardie. L’hypothèse la plus vraisemblable, quoique
difficile à admettre au point de vue phonétique, consiste à considérer ce mot Picard
comme le doublet savant de Poier, ou habitant de Poix (Somme). D’après Garnier (409),
on trouve Piceium en 1105, Piceum Castrum en 1118. Le nom Poiriers, Poïers, aurait été
étendu assez tôt à une grande étendue de territoire comme le montre ce passage de la
Chronique de Phil. Mouskes, cité p ar Thierry, 598, III, p. 633.
I,i Pouïilers e t li Campignois
J furent preut et cil d’Artois
Et li Hurcpois d’outre Sainnc...
Cil d ’Aminois et de Pontiu...
Don Grenier, -414, p. 16-34, propose des explications enfantines. Nous remercions
M. Langlois, de l’Université de Lille, des précieux renseignements qu'il a bien voulu
nous donner à ce sujet.
Nous ne savons pas à quelle époque le mot Picard a pris sa grande extension. D’après
Expilly (402, article Picardie) le nom de Picardie fut employé pour la première fois
entre 1200 et 1229. D’après Bresseau (384), on trouve le mot Picard en 1173.
3 Don Grenier, 414, p. 41-42.
La Picardie est un domaine linguistique. L’instinct populaire et
les documents historiques la définissent comme l’extension d’un dialecte.
D’Amiens à Abbeville, Saint-Quentin et Montdidier, nous
sommes en pleine Picardie; on y entend partout ce dialecte rude et
âpre, plein et lourd, aux syllabes sonores ; les farces des héros populaires
picards s’y jouent encore sur les petites scènes locales; plus
d’un Ainiénois, fidèle aux poètes du cru, aime encore à goûter dans
leurs vers la saveur du vieux patois. Mais le parler picard ne se
confine pas aux murs des cénacles de raffinés; il vit toujours dans
les’campagnes. Les paysans l’emploient communément; il constitue
entre eux un trait commun qu’ils constatent les premiers. Aux environs
de Grandvillers, de Formerie et de Songeons, le cultivateur
picard sait qu’à peu de distance vers le Sud, dès les herbages du
liray, il n’entend plus les intonations familières ; la Picardie cesse,
pour lui, avec certaine manière de prononcer plus grêle, plus sèche,
plus maigre qui est normande. Les habitants d’Hodenc-1 Évêque
reconnaissent encore leur langage à Andeville, au Nord-Est de Meru,
mais déformé déjà par le français. Les vieilles gens de Maignelay
et d’Estrées-Saint-Denis prolongent la Picardie « jusqu’au-dessus de
Compiègne », parce que, disent-ils, le parler reste le même; inversement
et pour les mêmes raisons, les gens de Luzarçhes et de Dam-
martin font commencer la Picardie au Nord de leur pays. Le populaire
a toujours attribué Senlis à la Pica rdie1. De même, beaucoup
d’habitants de Cariepont et de Cus, au Sud-Est de Noyon, donnaient
encore au début du xixe siècle le nom de France aux campagnes
méridionales de la Picardie dans lesquelles ils allaient faire le mois
d’Août. Le peuple a le sentiment précis que la notion de Picardie
repose encore sur une différence de dialectes. Plus on remonte dans
le passé, plus elle prend corps, mieux préservée par la difficulté des
relations : au xive siècle, le picard est considéré comme une vraie
langue, très différenciée du français. « Icelui de Chastillon, dit un
texte de 1388, cognut au parler que icelui Thomas estait Picart, et,
pour ce, par esbatement, se prit à parler le langage de Picardie, et
ledit Thomas qui estait Picart se prit à contrefaire le langage de
France2... »
Il est curieux d’observer vers le Nord l’extension de la Picardie.
Ce domaine se confond avec celui de la langue française 3. C’est par
le picard que prirent contact dans le Nord de la France les langues
1 Longnon, 433, p. 19.
' Don Grenier, 414, p. 18.
3 Valois, 461, p. 628-629.