toute celte contrée ne formait qu’un vaste champ de blé. Par contre,
les sols caillouteux de l’argile à silex dans les élections de Doullens
(Val-des-Maisons, Canaples, Monstrelet, Sailly-le-Sec) se transformèrent
en terres productives. Il en est de même aux limites de la Normandie
sur les pentes bieffeuses des environs d’Aumale. De 1763 à
1772, dans toute la généralité de Picardie, la culture avait gagné,
défrichements et dessèchements réunis, plus de 2.000 arpents \
Au xixe siècle, la multiplication des petits cultivateurs et l’introduction
de la betterave à sucre déchaîna partout l’appétit de la terre.
Certaines régions perdirent leurs derniers bouquets de bois, leurs
derniers arbres. On vit des cultivateurs demander des récoltes à des
sols incapables d’en donner; à la suite de coûteux mécomptes, il fallut
reboiser certains terrains imprudemment défrichés. Dans le seul dépar-
tementde la Somme, on avait défriché de 1792 à 1821,1.463 hectares
de bois ; de 1821 à 1833,1.862 hectares dont 1.017 dans l’arrondissement
d’Amiens; encore ces chiffres ne comprennent point les bois au-
dessous de 4 hectares2. Presque toute végétation arborescente disparut
des pentes crayeuses qui s’étendent au nord d’Amiens vers Villers-
Bocage, au Sud versProusel etBacouelle long de la Selle; mais comme
ces terres exigeantes en engrais ne couvrent pas leurs frais, on s’occupe
de les reboiser ; aux environs de Bertangles, de Flesselles3, de
Bovelles4, certains bois de pins plantés en quinconce rappellent en
petit les forêts qui depuis un demi-sièele ont transformóla Champagne
Pouilleuse. Mais dans les régions à betteraves, c’est la culture qui
demeure la souveraine de la terre. Si l’on emportait sur le terrain la
première édition de la carte de l’état-major, on risquerait d’errer bien
souvent : tellement le paysage a changé. Sur l’emplacement de la forêt
d’Arrouaise, surtout à l’Ouest, on chercherait en vain des arbres. La
forêt qui portait encore au xixe siècle le nom d’Arrouaise n’existe
plus. Les environs de Bohain n’offrent plus qu’une surface monotone,
partout cultivée. Aux approches de Busigny et de Seboncourt, quelques
bouquets d’arbres à peine se détachent sur la plaine découverte.
Près de Nauroy et de Beaurevoir, les vieillards se rappelaient naguère
encore que, pendant l’année 1814, les bois avaient recueilli les habitants
des villages voisins et recélé leurs biens; il ne reste presque plus
rien de ces cachettes. Dans toute la plaine d’Artois, sur un rayon
qui s’étend jusqu’à Saint-Pol, Doullens, Bapaume, Cambrai, depuis
1 Sur les défrichements du xvm® siècle : Arch. Somme C, 110, 119, 120, 123.
3 R iq u ie r, 310, p . 88.
3 Canion de Villers-Bocage.
4 Canton de Molliens-Vidame.
1840-1850, il n’est point d’année qui n ’ait vu sacrifier quelque bois;
partout on signale des défrichements étendus, à Chelers, à Barly, à
Boiry-Saint-Martin, àGouy-en-Artois, àMetz-en-Couture, àNeuville-
Bourjonval, à Lebucquière, à Ablainzevelle, à Boisleux-au-Mont, à
Fontaine-lès-Croisilles, à Vaulx-Vraucourt, à Bucquoy, à Buissy-
Baralle, à Humbercamps, à Souastre, à Gommecourt, à Thièvres, à
Saint-Amand, à Monchy-le-Preux, à Heudecourt-lès-Cagnicourt. Un
exemple, entre cent autres, permet de mesurer l’étendue du déboisement
contemporain ; nous le prenons à Oisy-le-Verger :
Bois du Bias . . . . 16 hect. en 1830. Aujourd’hui défriché.
Bois du P u i t s . . . 16 —: — I f 2 hectares.
Bois du Quesnoÿ. . 8 2 — — — 52 —
Bois de Blocquière. 15 — — .pi: défriché.
Dans la plupart des communes de la région betteravière, on peut
dire m aintenant que le territoire agricole et la superficie totale sont à
peu près des expressions équivalentes. Jusque dans le Haut-Boulon-
nais, plus rebelle à la culture, la charrue n’a pas cessé de faire reculer
les arbres ; partout, à Hubersent, à Maintenay, à Roussent, à Lépine,
à Embry, on a déboisé ; parfois, comme à La Bouloie près d’Huc-
queliers, on a dû reboiser. La comparaison des cartes récentes et des
cartes anciennes nous amène aux mêmes constatations pour les environs
de Saint-Riquier, d’Aumale, de Saint-Just et pour toute la région
comprise entre Poix et Beauvais. Cette destruction impitoyable des
bois, dont nous avons déjà marqué les effets sur le régime des sources,
est la preuve matérielle de l’action humaine dans ces pays de culture ;
par elle, tout agrément, toute variété disparaissent du paysage ; mais
c’est au profit de la production et de la richesse.
Les améliorations foncières.
L’action humaine n’a pas seulement agrandi les espaces cultivables;
elle les a fertilisés. Aucune terre n’a peut-être été tournée et
retournée depuis plus longtemps, préparée et enrichie plus régulièrement.
Contrairement à la Champagne où l’uniformité de la composition
géologique a maintenu stériles devastes cantons, la Picardie
et les régions voisines doivent leur fortune agricole à la variété de
leurs sols ; sur la même exploitation, on voit souvent se toucher des
champs crayeux, des champs d’argile à silex, des champs de limon ;
de proche en proche la culture a égalisé leurs qualités. Faute d’observations
assez longues et assez exactes, il nous est difficile d’apprécier
cette part de création artificielle pour les époques antérieures au