creuse le sillon d’où sortira son pain dans une terre qui n ’est pas à
lui; il faut établir une distinction préalable entre la propriété et l’exploitation,
entre le fait social et le lait agricole, et discerner pour
ces deux faits leur nature, leurs rapports réciproques, leur répartition
géographique. Le problème de l'occupation du sol comporte
donc trois aspects : les biens communaux, les propriétés, les exploitations.
LES COMMUNAUX
Dans ces pays agricoles, le dernier refuge des biens communaux
fut la vallee, c est-a-dire le mdieu le moins propre à la culture.
Pa r ses marécages et ses tourbières, elle éloignait l’exploitation
agricole. Tandis que de tous côtés la terre arable s’en allait en
parcelles, le sol des vallées restait dans l’indivision; le contraste
entre les vallees et les plateaux de la craie, si vigoureux dans la
nature, prenait une valeur humaine par ce fait social. S’il a pu persister
longtemps, c’est que les marais communaux constituaient dans
1 ancienne économie rurale de ces pays sans herbe une ressource
fort précieuse. Dans les vallées de la Somme, de l’Authie, de la
Canche, de l’Oise, de la Scarpe, du Thérain comme dans les tourbières
du. Marquenterre et de Bresles, le marais communal était le
pâturage commun ; il l’est encore en maintes localités. A une époque
où la culture ignorait les fourrages artificiels, on conservait
avec soin toute la végétation herbacée susceptible de nourrir le
bétail; dans le Boulonnais la coutume interdisait même au cultivateur
d’enclore plus d’un quart de son fief ; une fois la récolte enlevée,
libre à chacun d’y faire paître ses bestiaux1. Dans les vallées, le.
droit de depaissance en commun était entre les paroisses voisines
l’objet de nombreuses contestations ; en 1355, les habitants de
Flixecourt2 gagnèrent un procès qui leur assura la propriété de
marais contestés; à la fin du xvie siècle, à propos des marais de la
Soubitte, ils entraînèrent une rixe sanglante avec les gens de Ville.
En 1512, c est Béthencourt qui réclame sans succès à Flixecourt
9 journaux de marais.
Si 1 on se dispute vivement la propriété des marais, on en réglemente
avec soin la jouissance. A Fillièvres3, dans la vallée de la
1 Arch. Somme, G. 136.
' Jumel, 548, p. 14-15.
3 Bouthors, 504, II, p. 14-19.
Canche, les coutumes de 1507, soumettent prairies et marais à des
règles différentes; dans le Grand Marais vers Obremetz, on reçoit
tous les bestiaux sans distinction; dans le Petit Marais, le pâturage
est interdit aux pourceaux et permis à 9 moutons seulement
par habitant; dans le marais dit de Galametz, les habitants de Fil-
lièvres et de Galametz exercent le parcours réciproque de jour et de
nuit avec vaches, veaux et moutons; le pâturage du Pré Caumont
est permis aux bêtes à cornes depuis la Saint-Remy jusqu’à la mi-
Mars; le pré de Valicourt depuis la Saint-Jean jusqu’à la mi-Mars ;
dans les Aulnois d’Obremetz, les habitants de Fillièvres peuvent
faire la coupe des aulnois tous les sept ans ; mais pendant les deux
ans et quatre mois qui suivent, le pâturage est prohibé afin de
donner aux jeunes taillis le temps de se fortifier. C’était ainsi dans
chaque commune de vallée tout une économie locale réglant l’usage
des marais et protégeant le bien commun contre le séjour trop prolongé
des bestiaux.
Ces pâtures communales étaient précieuses aux pauvres gens et
aux ménagers; ils y menaient leur vache ; ils lui devaient le lait et
le beurre h Mais le plus souvent, piétinées par les animaux, envahies
par les mauvaises herbes, couvertes d’eau stagnante, elles se
trouvaient dans un état lamentable. On pouvait, soit par le drainage,
soit par la culture, en tirer un meilleur p a rti; mais les paroisses
étaient trop pauvres et trop routinières pour tenter ces améliorations;
il y fallait des capitaux et des vues d’ensemble. Ce progrès
nécessaire de la culture méthodique sur les derniers vestiges de la
pâture extensive fut imposé par voie administrative et revêtit la
forme d’une dépossession des communautés au profit des acquéreurs
riches. Dès 1669, une ordonnance, en permettant aux seigneurs
d’exiger le triage sur les communaux des paroisses 2, se proposait,
par le dessèchement et l’amodiation des communaux, de créer de
nouvelles terres cultivables. Mais le xvme siècle, tout entier à ses
idées de progrès économiques, renchérit encore sur ces tendances.
Alors commencèrent entre les seigneurs'et les paroisses une série
de contestations portant sur la propriété du sol. Les communautés
prétendaient à la possession immémoriale des communaux ; elles
voulaient les garder parce qu’elle y voyaient non seulement leur
droit, mais encore leur intérêt ; en y renonçant, elles auraient perdu
les pâturages de leurs bestiaux; en Artois, on allait jusqu’à prévoir,
1 Arch. Somme, G, 147.
3 Graffin, 413, p. 65-67.