xixe siècle; nous savons par les baux de Saint-Waast-d’Arras1 qu’on
pratiquait le marnage en Artois pendant le Moyen Age; nous savons
aussi qu’au x v i i i 0 siècle les terres des environs d’Arras, de Béthune,
de Bapaume reçurent des quantités énormes de cendres de Picardie
et de Hollande. Mais nous sommes mieux renseignés sur les temps
contemporains. Pendant le début du xixe siècle, des défrichements, suivis
de labours profonds et d’amendements appropriés, ont transformé
une partie de la Thiérache2 ; sur une terre ameublie et mieux drainée,
les dates des récoltes se sontdéplacées ; jadis aux environs de Yervins,
la moisson retardait de trois semaines sur la moisson de Château-
Thierry ; elle ne la suit plus aujourd’hui que d’une dizaine de jours ;
certaines années, elle se fait simultanément. Partout la culture apprend
à s’affranchir des aptitudes natives des sols ; elle les plie méthodiquement
à ses propres nécessités, à ses inlentions. On trouve dans la
plaine de Lens un exemple célèbre de cette éducation de la terre par
la culture.
La transformation de la plaine de Lens est l’oeuvre d’un agriculteur,
M. Decrombecques. Sur un sol si mince que la charrue
atteint souvent la craie du sous-sol, difficile à labourer, pauvre en
azote, on répandit des amendements et des fumiers en abondance; on
créa par des labours de plus en plus profonds la profondeur qui
manquait. Par un assolement hardi, les céréales succédèrent continuellement
aux betteraves. Sur une plaine jamais déshéritée, on
obtenait dés récoltes riches comparables aux plus belles récoltes de
la Flandre : 40 hectolitres à l’hectare pour le blé, 70 à 75 pour
l’avoine, 55.000 kilogrammes pour la betterave. En réalité, la terre
devient un milieu artificiel préparé par l’industrie humaine. M. Decrombecque
parvint en quelque sorte à fabriquer le sol, « achetant dans le
voisinage tout ce qui peut être matière première d’engrais, fabriquant
lui-même les superphosphates, son sulfate d’ammoniaque extrait des
eaux de gaz, solidifiant, manipulant, triturant le sang des abattoirs,
les déchets de boyauderie, les vieilles chaussures, extrayant le nitrate
de potasse des eaux d’exosmose de sa fabrique de sucre. » Ainsi, la
culture assouplit les sols rebelles et les amène à porter les récoltes
qu’elle choisit elle-même.
Cette puissance de la culture ne s’exerce pas seulement sur des
fermes modèles, sur des exploitations privilégiées. Chaque jour elle
se généralise et se vulgarise ; elle pénètre déjà dans les moindres
1 Richard, 309, p. 388-404.
* Ma tto n ^O , p. VII.
5 Sur la plaine de Lens, voyez Pas-de-Calais, 572, IV, p. 28-34.
villages. Déjà la terre ne connaît plus les repos inutiles. Dans le
Nord de la France, les jachères ne cessent pas de diminuer. Alors
qu’elles occupent encore 23 p. 100 des terres labourables dans la
Marne, 21 dans le Cher, 19 dans l’Aube, 14 dans les Ardennes, elles
se réduisent à 8 p. 100 dans l’Aisne et le Pas-de-Calais, 0,75 dans
le Nord h La culture intensive pénètre partout, substituant les
légumineuses et les plantes sarclées à la jachère dans l’assolement
triennal, et même éludant les règles d’un assolement trop étroit pour
n’observer aucune succession régulière.' Ces progrès obéissent toutefois
encore à certaines conditions naturelles; ils sont lents, parfois
insensibles, sur les plateaux d’argile à silex du Haut-Boulonnais et
de la Picardie méridionale. Mais sur les bonnes terres des plaines
d’Arras, de Cambrai, de Péronne, de Montdidier que les plantes
oléagineuses et les betteraves occupent depuis plus d’un siècle, 1 évolution
delà culture a marché rapidement. Au voisinage des sucreries,
des territoires entiers ont été métamorphosés. Les terres de Pron-
ville dans le canton de Marquion, jadis médiocres, sont devenues,
par l’emploi raisonné des engrais et surtout du nitrate dans les parties
légères, les égales des meilleures terres de limon. Les défécations de
la sucrerie de Quéant fournissent l’amendement des terres argileuses
du voisinage. A Moreuil près de Croisilles, certains champs,
proches de la distillerie, fournissent tous les ans des betteraves.
Partout le sol se complète et s’enrichit. Tous les villages îeçoivént
chaque année leur provision d’engrais, tourteaux, nitrates, scories,
superphosphates, écumes de défécation. A Marquion, en 4900, on
achetait 80.000 à 90.000 kilogrammes d’engrais chimiques ; tout près,
à Ecourt-Saint-Quentin, on dépense annuellement 30.000 francs
pour les engrais complémentaires. A Oisy-le-Verger, dans les
bonnes exploitations, on répand annuellement à 1 hectare une
moyenne de 40.000 à 50.000 kilogrammes de fumier, 900 kilogrammes
de superphosphates, 300 kilogrammes de nitrate pour la
betterave ; 150 kilogrammes de nitrate, 300 à 600 kilogrammes de
superphosphates pour le blé. A Neuvireuil, près de Vimy, on donne
jusqu’à 100 francs d’engrais à la mesure (42 ares 91) de betterave.
A Pelves, près de Vitry, on consacre 20.000 francs par an à l’achat
des engrais2.
A mesure qu’on s’éloigne vers l’Ouest de cette région de culture
intensive, l’emploi des engrais devient plus timide. A Averdoingt.,
1 Enquête agricole de 1892, p. 111.
1 Tous les renseignements sur l’emploi des engrais proviennent soit de notre enquête
personnelle., soit des renseignements fournis par les instituteurs.